Homélie du 7 octobre 2018

Gn 2, 18-24
Mc 10, 2-16

« Tous deux ne feront plus qu’un (une seule chair) » (Gn 2, 24). Voici une unité fondée sur une pluralité, une altérité originelle. Mais surtout dans ce « ne feront plus qu’un » de la traduction liturgique on peut entendre, comme un écho, la foi d’Israël en l’unicité de Dieu.

Le premier récit de la création fait dire à Dieu « faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1, 26). Posant par la même l’humanité, en sa composante mâle et femelle, comme l’image de Dieu, et par là même le couple comme l’image et la ressemblance du Dieu un et trine. Autrement dit, dans le dialogue de la femme et de l’homme, au sein du couple, se dit quelque chose du Dieu Un en sa pluralité de personnes. A l’origine de toute réalité humaine se tient le dialogue amoureux qui se fonde sur, dans la réalité même du Dieu qui, en christianisme, se définit comme Amour (Dieu est amour –1 Jean 4,8 -).

 

Dans l’Évangile nous voyons les pharisiens mettre Jésus à l’épreuve en posant cette question : « est-il permis de renvoyer sa femme ? ».

Notons d’abord qu’il ne s’agit pas ici de divorce mais bien de répudiation. Jésus remet en question la pratique légale qui, à son époque, permet à un homme de se débarrasser de son épouse ; ici c’est bien l’homme qui est acteur, la femme n’est qu’un objet dont on s’empare et se débarrasse.

Cette mise à l’épreuve de Jésus consiste, sans doute, à vouloir fragiliser Jésus en l’enfermant dans un oui ou un non par rapport à la Loi. Faisant de lui soit un homme dur, intransigeant ou quelqu’un d’infidèle à la Loi, c’est-à-dire ici à Dieu même ; mais Jésus sort de cette alternative mortifère en se situant « au commencement ».

Non pas un commencement chronologique mais l’origine de toute réalité humaine et divine qui est un dialogue qui crée une réalité sans cesse nouvelle, l’unicité de Dieu et, à sa ressemblance, l’unité du couple posée comme une seule chair. A l’unicité toute spirituelle du Dieu un et trine vient s’arrimer l’unité corporelle, de chair et d’esprit, du couple humain. Jésus quitte les rapports de domination que la loi vient justifier, légitimer, pour poser la relation entre hommes et femmes à l’horizon du royaume dont la seule légalité est celle de l’amour, dialogue de deux libertés qui s’éprouvent et se trouvent.

 

Le lien indéfectible du couple, que l’Église à temps et contre temps affirme, pointe donc vers le royaume de Dieu.

Et pourtant, ici et maintenant, ce lien est bien souvent ressenti par nos contemporains comme une contrainte, voir un scandale.

Scandale des divorcés-remariés que l’on interdit de communion, scandale d’une Église qui parfois semble s’enfermer dans une l’intransigeance légale au mépris de ce qui fait la vie intime et concrète des individus.

Mais aussi incompréhension de l’Église face à une société dont le langage est celui de l’émancipation individuelle parfois au mépris du corps, de cette matérialité qui définit l’humanité en ces différentes composantes. Le vouloir, la volonté humaine ne peut contredire la chair. Pas de liberté de l’esprit qui ne tiendrait compte du corps. Illusion qu’un esprit sans chair…vielle illusion de la gnose sans cesse renaissante. Sans doute jamais aussi forte qu’aujourd’hui. Je fais ici allusion, entre autres, aux théories du genre les plus radicales, celles qui posent le genre à la disposition des volontés individuelles. Mais il n’en reste pas moins que ce sont bien les cultures qui définissent à chaque époque ce qu’est le féminin et le masculin, ce que c’est d’être un homme ou une femme.

 

Mais aussi infidélité d’une Église dont la mission est de « laissez venir les enfants (au Christ) … » ; c’est-à-dire de mettre au centre (au cœur !) les invisibles, les plus fragiles, les plus pauvres…ce que sont bien, à son époque (très loin des enfants rois d’aujourd’hui !) les enfants, « ceux qui ne parlent », ceux qui, avec les femmes et les esclaves n’ont pas droit à la parole. A l’image de ce village fortifié dans l’atlas…dans la muraille une large porte fortifiée où se regroupent les hommes, ceux qui comptent, pour des palabres sans fins…et un passage dérobé pour les femmes et les enfants, ombres silencieuses presque invisibles.

L’Église signe, sacrement du royaume (telle est sa raison d’être) donne (devrait donner) prophétiquement la parole à ceux et celles qui ne l’ont pas.

Ici scandale de l’infidélité qui parfois va jusqu’au meurtre, puisque la pédophilie est bien telle, le meurtre de l’innocent, de cet innocent qui est l’image, la ressemblance même des citoyens du Royaume, image et ressemblance de la divino-humanité voulu par Dieu en Jésus.

Ensemble clercs et laïcs, hommes et femmes, adultes et enfants…nous sommes l’Église et nous avons à retrouver la source originelle qui fonde le corps du Christ, le Dieu un et trine qui a pris chair ; et ici la chair désigne la fragilité, la fragilité de l’enfant qui permet à l’adulte d’être tel, la fragilité du Dieu incarné qui permet à l’humanité de faire Église.