Homélie du 3 juin 2018

Textes :

Je ne sais pas si vous avez été frappés comme moi par le côté “sanglant” des lectures de ce jour où nous célébrons la fête du Corps et du Sang du Seigneur…

La première lecture fait état de l’immolation de taureaux (au pluriel !) dont on récupère la moitié du sang pour en asperger l’assemblée après avoir fait lecture du Livre de l’Alliance ! Parfois, quand je fais l’aspersion avec de l’eau, au début de messe, j’entends des petits cris de frayeur… Imaginez un peu si c’était du sang de taureau !

Dans la culture du “on trouve tout au supermarché du coin” on a perdu l’habitude de voir couler le sang des animaux ! Peu parmi nous ont assisté à des sacrifices sanglants ou ne serait-ce qu’à la saignée d’un cochon, voire d’un simple poulet… Aucun, sauf erreur n’a vu de flagellations en direct…

Est-ce parce que cela nous manquerait que certains cinéastes se croient obligés d’en rajouter dans les scènes de violence et pas seulement dans les films d’horreur… ? Je ne sais pas…

Ce qui est sûr c’est que, ce dont nous parlons dans la fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, repose sur un acte d’une violence inouïe ! Jésus, le Prince de la Paix, offert en sacrifice en lieu et place des animaux prescrits par la Loi !

Alors ne cherchons pas à qui incombe la responsabilité : Les Juifs ? Les Romains ? Nos propres péchés ?…

Non, le responsable c’est Jésus lui-même qui offre librement sa vie en réparation mettant ainsi un terme définitif aux sacrifices d’expiations…

Jésus est à la fois, le prêtre (c’est-à-dire le sacrificateur), l’autel (le lieu du sacrifice) et la victime offerte… Rappelez-vous : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ! » nous dit Jésus (Jn 10,18).

Et si vous ne me croyez pas, réécoutons ensemble la lettre aux Hébreux que nous avons entendue tout à l’heure : « Le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant.»

« Médiateur d’une alliance nouvelle… sa mort a permis le rachat des transgressions commises sous le premier Testament… Nous pouvons désormais recevoir l’héritage éternel jadis promis.» Il ne s’agit de rien de moins que de restituer “Adam”, l’Humanité que nous sommes, dans sa vérité de Fils aimé et aimant de Dieu…

« Après le don que Jésus fait de sa vie jusqu’à la perdre, il n’y aura plus besoin de verser le sang. Le mécanisme du sacrifice [présent dans toutes les civilisations], est désactivé»[1], nous dit Sr Anne Lécu dans un très beau commentaire…

Saint Thomas d’Aquin, l’un des plus grands philosophes de l’histoire de l’Eglise, écrit, au 13ème siècle : « Le Fils unique de Dieu, voulant nous faire participer à sa divinité, a pris notre nature afin de diviniser les hommes… En outre, ce qu’il a pris de nous (notre humanité), il nous l’a entièrement donné pour notre salut. En effet, dit-il, sur l’autel de la croix il a offert son corps en sacrifice à Dieu le Père afin de nous réconcilier avec Lui ; et il a répandu son sang pour qu’il soit en même temps notre rançon et notre baptême »[2]

Rachetés du  lamentable esclavage du péché qui nous replie sur nous-mêmes, dans le Sang de Jésus, nous sommes purifiés de tous nos péchés.

Et Saint Thomas ajoute : « Pour que nous gardions toujours la mémoire d’un si grand bienfait, il a laissé aux fidèles son corps à manger et son sang à boire, sous l’aspect du pain et du vin.»[3]

Donc rassurez-vous, je ne vais pas vous asperger de sang, mais soyons conscients que nous allons faire beaucoup mieux en célébrant cette Eucharistie…

Nous allons re/présenter le sacrifice de Jésus… C’est-à-dire non pas en faire le spectacle, mais le présenter à nouveau… en faire mémoire. Cela ne veut pas dire que nous allons verser une larme en déposant une gerbe devant une plaque commémorative rappelant le beau geste que Jésus a fait il y a bientôt 2000 ans. Mais que par la force de l’Esprit qui soutient notre foi nous allons rendre cet ultime et unique sacrifice de la Croix, présent, actuel et potentiellement actif dans nos vies…

Le pain et le vin sur lequel le prêtre invoque l’Esprit au nom de l’Assemblée (Assemblée = Ecclesia en grec) sont là, visibles et ils nous donnent à voir et à comprendre que Jésus est réellement présent au milieu de nous comme notre nourriture et comme celui qui nous conduit de la mort à la vie.

On a souvent l’habitude de présenter l’Eucharistie comme du pain qui devient le corps de Jésus et du vin qui devient le sang de Jésus. Ce n’est pas faux, et l’extrait du « Lauda Sion Salvatorem » (lui aussi écrit par St Thomas d’Aquin), que nous avons lu avant l’Evangile, le rappelle fort justement. Mais, à mon avis, en faisant cela on présente le merveilleux sacrement de l’Eucharistie “à l’envers”. L’Eucharistie ce n’est pas tant du pain qui devient le Corps de Jésus, que Jésus qui se fait notre pain. Ce n’est pas tant du vin qui devient le Sang de Jésus, que Jésus qui se fait notre vin et ce, pour être consommé et alimenter les membres de son Corps, que nous sommes depuis le jour de notre baptême, afin qu’Il continue, par nous, de donner la vie au monde.

“Faites ceci en mémoire de moi” : Jésus nous invite à devenir le pain de nos frères pour que le monde ait la vie.

Il ne nous reste plus donc qu’à « offrir le sacrifice d’action de grâce en élevant la coupe du Salut » comme nous y invite le psaume de ce jour…

Il s’agit de vivre “de Jésus” et “en Lui”. Vivre dans l’amour et le partage en donnant notre vie.

Vivre dans l’amour et le partage, cela ne veut pas dire donner notre superflu, qui d’ailleurs nous encombre, à ceux qui n’ont rien… Cela ne s’arrête pas à une pensée émue pour ceux qui ont faim au moment de Noël ou de Pâques quand nos appareils digestifs sont eux-mêmes mis à rude épreuve… ou quand les nouvelles nous font part d’une famine ou d’une catastrophe ici ou là à travers le monde… Non, il s’agit bien de donner notre vie… ici et aujourd’hui ! Non pas donner de notre vie, mais donner notre vie…

Pour finir, je laisse encore, la Parole à Thomas d’Aquin : « Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.»[4]

[1] Anne Lécu, Ceci est mon corps, éditions du Cerf, Paris, 2018, p. 86.

[2] Thomas d’Aquin, Opusc. pour la fête du Corps du Christ, 57.

[3] Idem.

[4] Lauda Sion, Hymne composée par Thomas d’Aquin, à la demande du Pape Urbain IV, pour l’institution de la Fête-Dieu, en 1264.