Homélie du 20 décembre 2020 (Grégoire)

Textes :

 Frères et Sœurs,

Voici que s’approchent les jours de Noël. Depuis quatre semaines, les textes de la liturgie du dimanche nous invitent à préparer cet avènement, en tournant le regard vers l’avenir et vers la venue du Sauveur promis. C’est le temps de l’Avent.

Aujourd’hui, dans sa lettre aux Romains, Saint Paul nous parle de « Jésus Christ : révélation d’un mystère gardé depuis toujours dans le silence. » « Mystère maintenant manifesté. » « Mystère porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l’obéissance de la foi »

Il s’agit donc bien d’une révélation de quelque chose qui existe depuis toujours mais qui était inaccessible à notre entendement. Oui, depuis les origines, avant même la création du monde, le projet de Dieu est de nous faire connaître son fils…

J’utilise ici le mot “connaître”en son sens biblique, en son sens le plus radical qui signifie “naître avec” !

Depuis toujours, le projet de Dieu est de nous faire naître en son fils éternel… C’est-à-dire de faire de nous des fils dans le Fils !

La tradition judéo-chrétienne nous enseigne que Dieu veut sortir de lui-même pour partager sa plénitude… Pour cela, à partir du néant (“ex nihilo” disaient les anciens), Dieu crée et place l’être humain au sommet de sa création pour en faire le partenaire de son amour…

L’une des grandes questions qui traversent l’histoire de la théologie chrétienne est : « pourquoi Dieu s’est fait homme ? »

Deux grandes écoles se sont affrontées et continuent à le faire jusqu’aujourd’hui pour y répondre. Elles sont d’accord sur le fait que c’est pour sauver l’humanité que Dieu a envoyé son fils.

La première école insiste tellement sur cet aspect qu’elle risque de laisser penser que si l’homme n’avait pas péché alors nous n’aurions pas connu l’Incarnation… Dieu serait venu dans le monde pour mourir sur la croix et, ainsi, racheter l’homme pécheur.

S’appuyant entre autre sur la fameuse affirmation de la veillée pascale : « heureuse faute qui nous valut un si grand rédempteur », elle rend l’homme pécheur responsable en quelque sorte de l’Incarnation qui serait alors presqu’une « punition pour Dieu ».

La deuxième école, s’appuie bien davantage sur la création à l’image de Dieu. Elle affirme, comme je le fais souvent, vous l’aurez sans doute remarqué, que le Fils éternel de Dieu, le “Verbe” dont nous parle Saint Jean dans son Évangile, est le modèle, le “prototype” de l’humanité… Elle conclue : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu. »

Alors oui, la mort de Jésus sur la croix est bien la conséquence du péché en manifestant de manière tragique qu’il n’y a que dans l’amour absolu que peut se résoudre la question de la liberté et du péché… Mais cela n’empêche que, même si l’Adam n’avait pas désobéi, cela n’aurait pas entravé le projet de Dieu de s’incarner pour ouvrir la créature à sa dimension d’éternité… et révéler à l’humanité sa condition de fils de Dieu.

Pourquoi tout ce détour, me direz-vous, et quel rapport avec les lectures que nous venons d’entendre et notre vie quotidienne ?

Les lectures de ce dimanche nous rappellent, s’il en est besoin, que c’est Dieu qui est le maître de l’histoire et que c’est en nous en remettant à son projet que nous pourrons déployer la plénitude de ce que nous sommes ; de ce pour/quoi il nous a créés…

David croit que c’est à lui qu’il revient de bâtir une maison au Seigneur. Cela part probablement d’un bon sentiment et de sa reconnaissance envers Dieu qui a fait de lui ce qu’il est devenu. Le prophète Nathan lui-même tombe dans le piège : « Tout ce que tu as l’intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi. » Nous ne sommes pas loin du “Gott mit uns” gravé sur le ceinturon des soldats de l’armée allemande, dont je vous parle de temps en temps…

Mais Dieu est formel : « C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. » On pourrait dire en quelque sorte : « ne te prends pas pour ce que tu n’es pas ! » « Ne laisse pas tes succès te monter à la tête ! » Petit rappel d’humilité et de bon sens…

Le récit de l’annonciation, quant à lui, nous montre l’ange Gabriel, celui dont le nom signifie “force de Dieu”, s’adresser à Marie pour lui donner son vrai nom, autant dire pour lui révéler sa mission. Vous savez que dans la Bible, quand Dieu donne un nom, ce dernier comporte un aspect vocationnel et missionnaire… C’est comme s’il lui disait: « Désormais tu ne t’appelleras plus « Marie » mais “Comblée de Grâce” », ce qui veut dire “entièrement remplie de l’amour qu’est Dieu”, “totalement habitée par le Dieu d’amour”…

Ce nom signifie qu’au cœur de notre humanité entièrement repliée sur elle-même depuis le péché des origines, Marie, elle, est « conçue sans péché ».

Depuis toujours Dieu a ce projet d’une femme qui enfantera son fils à sa dimension d’humanité. C’est pourquoi il a préservé Marie du péché, comme l’écrin sans tache qui pourra accueillir son Fils et le donner au monde.

Ce ne sont pas les mérites de Marie qui font que Dieu l’a choisie, mais c’est parce qu’elle est choisie par Dieu et qu’elle se rend disponible que Marie peut être considérée comme la Nouvelle Ève, en laquelle l’humanité toute entière est resituée, restituée, dans la pureté du projet divin.

Jésus, son fils, vrai Dieu et vrai homme, est le nouvel Adam, manifesté pour être reconnu « Fils aîné d’une multitude de frères. » (Rm 8,29)

Le “Oui” de Marie, préparé et préservé de toute éternité par l’amour de Dieu en œuvre (c’est l’autre nom de la grâce) rend possible la création nouvelle.

À la différence de son ancêtre Ève (la vivante) qui laisse place en son cœur à la méfiance et à la remise en question de la parole divine, la petite Marie de Nazareth, sortie de nulle part, « de Nazareth peut-il sortir quelque-chose de bon ?» (Jn 1 46), fait confiance à Dieu et se rend disponible : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta Parole » !

En entrant sans aucune réserve dans le projet de Dieu, en ouvrant toute grandes les portes de sa vie, de son cœur, de son corps, à la volonté de Dieu Marie inaugure les Temps Nouveaux !

En la disponibilité de Marie, Dieu peut enfin réaliser le  projet qu’il porte de toute éternité : faire de l’humanité sa famille.

Marie est le temple de l’Alliance nouvelle, un temple dont même David ni Salomon n’aurait pu rêver ! En ce temple Dieu prend chair de notre chair !

Et nous dans tout ça ? Dans la simplicité de son “oui”, Marie nous apprend à trouver notre “juste place”, notre “juste orientation” devant Dieu et devant les hommes…

« Qu’il me soit fait selon ta parole », le « Fiat voluntas tua » de Marie renvoie au texte de la Genèse.

La première parole que Dieu prononce dans toute la Bible est le fameux « Fiat lux » (Que la lumière soit) (Gn 1,3) que Dieu dit au troisième verset de la Genèse, ouvrant ainsi le chant de la création et préparant l’émergence de l’Humain créé à son image…

Le « fiat voluntas tua » (“que ta volonté soit faite”) (Lc 1,38) de Marie ouvre le chant de la création nouvelle et prépare l’avènement de l’Homme Nouveau…

En cette fête de Noël qui arrive, accueillons vraiment l’Emmanuel, “Dieu avec nous”… Laissons-le grandir dans nos cœurs et nous conduire vers nos frères pour leur annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume…

Avec le psalmiste redisons : « Tu es mon Père, mon Dieu, mon Roc et mon Salut !… Ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge ! »