Homélie du 24 décembre 2020 (Antoine)

1ère lecture : Is 9,1-6
Psaume 95
2ème lecture : Tt 2, 11-14
Evangile : Lc 2, 1-14

Chers frères et sœurs, chers amis,

Je ne sais pas vous, mais je trouve que cela circule beaucoup dans cet évangile que nous venons d’entendre. C’est toute une crèche pèlerine, il y a la sainte famille qui cherche un lieu, une place pour s’asseoir quelque part. Il y a aussi les anges qui se déplacent, il y a Dieu qui se déplace. Il y a tout un mouvement. C’est l’heure du pèlerinage. Je crois que la fête de Noël, c’est l’heure d’une sorte de mise en route.

Alors mettons-nous en route ! Je voudrais vous entraîner dans une sorte de pèlerinage, un peu comme celui-là. Une marche qui va laisser place aussi au rêve : après tout, il fait nuit et la nuit, c’est aussi l’heure du rêve. C’est le rêve de Dieu qui se conjugue avec le rêve de l’homme.

Je vous propose de parcourir une ville inconnue, il ne faudrait pas se projeter sur Arnage/Allonnes uniquement, une ville immense. Une ville immense comme le monde, une ville profonde comme la nuit, une ville absolument inconnue. On descend du train, et on se laisse guider par les quartiers. Comme les papillons de nuit, allons vers les endroits les plus éclairés, et parcourons les beaux quartiers. Nous allons passer devant les boutiques de luxe qui resteront allumées toute la nuit, nous allons pouvoir marcher tranquillement, sans le flot de la journée, le flot du métro-boulot-dodo. Tous ces flots sont complètement annulés puisque nous sommes seuls dans cette ville, et que nous voulons la visiter en paix. Alors, nous prenons notre temps, nous pouvons flâner, regarder tranquillement et profiter de toutes ces belles vitrines, sans être dérangés. Et puis, quand on a erré comme cela dans une ville, la nuit, quand on a parcouru ces quartiers, qu’on a saisi l’histoire d’une ville à partir de sa forme, de sa construction, comment elle s’est progressivement aménagée au cours des siècles, petit à petit, on quitte aussi les beaux quartiers et l’on arrive dans les quartiers plus sombres, ceux qui ont une autre histoire, les quartiers qui sont moins éclairés. Et l’on va descendre dans la vieille ville. Et moi, j’imagine cette vieille ville près d’un port, simplement parce que c’est l’ouverture maximale !

Et dans cette ville, dans cette vieille ville, dans ces quartiers moins luxueux, nous allons pousser des portes, parce que nous avons toute la nuit devant nous. Nous allons pousser des portes où il n’y a pas d’interphone. Nous allons tomber sur Matthieu, en train de compter son argent. Il suit l’argent partout où il le mène, et Matthieu est là, et il compte … Nous allons continuer un petit peu, et il y a là un petit homme, Zachée, tout petit. Jésus n’est pas encore venu s’inviter chez lui, et Zachée compte ses amis. Et puis, nous passons devant une école rabbinique, il y a là un vieil homme aussi qui s’interroge, Nicodème : “Comment un homme étant vieux peut-il renaître ?” Et personne n’est là pour répondre à sa question. Personne n’est là pour lui dire où doit le conduire sa recherche.

Et puis, nous sommes aussi dans des quartiers plus sombres, et il y a aussi des larrons, des filous, des crapules. Des bons ou des mauvais, ou des mauvais qui deviendront bons, on ne sait pas trop, dans l’ombre. En tout cas, il y en a un qui dit à son complice : “Souviens-toi de moi quand tu partageras le pactole”. Le larron est là et l’on échappe à un mauvais coup. Et l’on tombe dans un bar à marins, et là, il y a Marie-Madeleine, belle comme tout. Et dans un coin, il y a Pierre qui rentre de la pêche. Il n’a rien pêché. Et il y a Jacques et Jean qui refont le monde dans toute l’ardeur de ces désirs qui les animent : qui est le plus grand ? Puis, il y a Simon le Zélote qui a passé toute la nuit à coller des affiches.

Ils sont tous là, comme dans un beau tableau, un tableau de Rembrandt par exemple. Il y a tout ce peuple de l’ombre, il y a tout ce peuple qui est immense et qui se cache, et qui se cache même dans les replis de la peinture, qui se cache derrière ces autres figures, ces figures de l’évangile que nous venons de rencontrer, qui sont aussi des figures de nous tous. Il va bien falloir comprendre comment le “peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière” ! Comprendre comment “sur le pays de l’ombre, une lumière a resplendi”. Alors, on va chercher, parce que curieusement, on sent ces personnages prêts à quelque chose, à jouer un rôle, ils seraient comme des comédiens qui n’auraient pas été embauchés. Ils sont là et ils attendent le déclic, ils attendent quelque chose … Et on croise un homme hirsute, les cheveux en bataille, il dit : “Ils attendent quelqu’un”. Et on reconnait le précurseur, vous savez, le cousin de Jésus, Jean-Baptiste. Il nous engage à aller plus loin, il nous engage à chercher la source de l’espérance qui semble déjà tinter sur chacun de ces visages. Il nous semble déjà presque entendre les cloches de Pâques sur tous ces visages, mais il y a encore quelqu’un qui doit naître dans la nuit.

Alors, dans ce quartier qui ne paye pas de mine, on va pousser une autre porte, et on tombe sur une mère et son enfant. La madone à genoux qui adore son enfant, son enfant à elle et à Dieu. Et Joseph dans un coin, tout éduqué par sa longue patience, la longue patience de ce peuple auquel il appartient, fils de David, il relit le livre d’Isaïe et il voit dans toutes ses prophéties, petit à petit se dessiner le visage de cet Enfant. Et on s’aperçoit que c’est le Dieu sans luxe et sans apparence exubérante qui prend chair dans notre humanité. Ce Dieu tout simple qui naît au cœur de l’ombre, qui naît au cœur de la nuit, au cœur d’un quartier, au cœur de tous ces visages pour leur donner une espérance, pour nommer cette lumière qui déjà resplendissait sur eux et qui doit éclater dans l’évangile.

Nous sommes au cœur de la nuit, peut-être pour que cette lumière se fasse plus évidente. Au cœur du jour, au plein soleil nous serions éblouis, nous ne saisirions pas comment cette lumière peut se poser délicatement, peut dessiner tous ces visages, peut marquer tous ces visages du signe de l’attente, peut marquer ces visages aussi à l’avance, puisqu’il suffit de les évoquer aujourd’hui pour que tout de suite, on évoque tout l’évangile, pour marquer à l’avance déjà, ce qui va se passer.

Et nous, nous sommes comme ces visages. Nous avons tous un peu du larron, nous avons tous un peu de la Madeleine, nous avons tous un peu du Nicodème, nous avons tous un peu du Matthieu, et il nous faut pousser la porte, la porte de la foi. Il a bien fallu pousser une porte pour entrer dans cette église, pour sortir de chez soi, de sa voiture, et on la poussera encore pour le retour. On a poussé une porte, et peut-être que c’était un effort pour nous aujourd’hui, peut-être que c’était un renouveau ou carrément une nouveauté de pousser cette porte-là, cette porte de l’Eglise, cette porte de la foi. Pousser la porte, ça grince un peu, c’est un peu dur, mais on l’a quand même ouverte, et l’on se demande comment cette lumière sur ces zones d’ombre en nous, sur cet inachevé en nous, sur ce qui ne correspond pas, comment cette lumière va pouvoir opérer son œuvre de révélation, son œuvre de transformation, son œuvre d’apaisement de ce qui est douloureux ? Quand nous avons poussé cette porte, peut-être que l’on est rentré guilleret, peut-être que l’on est rentré tout doucement … Ouvrons la porte de nos cœurs et laissons Jésus y entrer, laissons-le nous combler de sa paix. Laissons cette lumière qui a inondé tellement de beaux visages illuminer le nôtre aussi ce soir.

AMEN