Homélie du 19 janvier 2020

Textes :
   Is 49, 3.5-6
   Ps 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd
   1 Co 1, 1-3
   Jn 1, 29-34

Frères et sœurs, chaque dimanche nous écoutons la Parole de Dieu.

Depuis le concile Vatican II le choix de textes qui nous sont proposés et beaucoup plus vaste et c’est presque l’entièreté de la Bible que nous parcourons sur un cycle de 3 ans.

Mais j’ai parfois l’impression que ces textes reviennent malgré tout si souvent que nous pensons les connaître par cœur et que nous avons du mal à concentrer notre attention et à les accueillir chaque fois comme une Bonne Nouvelle.

Nous sommes comme habitués. C’est une bonne chose d’être habitué à la Parole de Dieu, mais le risque est de ne plus entendre vraiment ce qu’elle nous dit et son côté parfois révolutionnaire ne nous frappe plus vraiment.

Je me demande si ce n’est pas un peu le cas aujourd’hui. Avez-vous remarqué comment Isaïe affirme des choses qui prennent complètement à rebrousse-poil nos mentalités modernes férues d’émancipation et d’autonomie individuelles ?

Depuis sa création l’être humain cherche à s’émanciper et revendique son autonomie face au créateur et ce n’est pas le projet de révision de lois de bioéthique que certains voudraient faire passer en douce au Sénat qui vont me contredire…

La velléité d’autonomie de l’homme vis-à-vis de Dieu est présente depuis la nuit des temps dans de nombreuses cultures. Les Guiziga du Nord-Cameroun, racontent par exemple « qu’au commencement le ciel était très proche de la terre. Bumbulvung (C’est le nom de Dieu) vivait avec les hommes, si proche que les hommes vivaient courbés. Par contre, ils n’avaient pas de souci pour la nourriture : il leur suffisait de tendre la main en haut pour déchirer des lambeaux de ciel et les manger. Un jour, une jeune fille, commença à regarder à terre et à choisir les graines qu’elle y trouvait. Elle se fit un mortier et un pilon pour écraser les graines choisies sur le sol. À genoux, chaque fois qu’elle levait son pilon, elle en frappait la face de Bumbulvung. Gênée dans son travail, elle dit : “Bumbulvung, ne vas-tu pas t’éloigner un peu ?” Le Ciel s’éloigna un peu, et la jeune fille put se tenir debout. Elle continua son travail et à mesure qu’elle pilait ses graines, elle levait son pilon un peu plus haut. Elle implora le Ciel une deuxième fois ; Le Ciel s’éloigna encore un peu. Alors elle commença à lancer son pilon en l’air. A la troisième imploration, le Ciel, outré, s’en alla au loin, là où il est maintenant.» [1]

Désir de rejet peut-être… En tout cas de juste distance vis-à-vis du  Créateur. Si c’est le cas, le Dieu judéo-chrétien s’en réjouit car c’est même son projet de faire de nous des fils à son image et donc des êtres libres et debout, partenaires de sa volonté…

Revenons si vous le voulez à la première lecture d’aujourd’hui tirée du livre d’Isaïe : « Le Seigneur m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur… »

“C’est pour le servir que Dieu nous a créé “… Cette notion est insupportable aux yeux de beaucoup de nos contemporains.

“Ni Dieu, ni maître” était un slogan à la mode il y a 50 ans… Rejeter le maître était, pensait-on, chemin de liberté…

Une autre attitude, plus subtile mais non moins mortifère, consiste  non pas à refuser de le servir, mais plutôt à se servir de Lui.

C’est ce qui se passe quand une personne, fusse-t-elle consacrée au Seigneur, use et abuse de son aura pour assouvir des pulsions déréglées sur des enfants ou, plus subtilement, pour manipuler les consciences ou prendre de l’emprise sur elles et provoquer en retour un dégoût de tout ce qui peut représenter une autorité quand bien même elle serait référée à Dieu.

L’abus de pouvoir n’est-il pas l’une des premières causes du rejet de toute forme d’autorité ?

Ce que l’on a appelé la révolution de 1968 était avant tout le rejet d’une société devenue incapable de transmettre à la génération montante de véritables raisons de vivre et d’espérer, autrement que par des arguments d’autorité dans le genre : « On a toujours fait comme ça ! »

Le “C’est étudié pour !” de Fernand Raynaud était bien souvent l’unique réponse donnée aux questions existentielles… Autant dire “tais-toi et marche !”… Il ne faut pas s’étonner si beaucoup ont cherché partout et n’importe où des réponses à leurs questions existentielles.

Ce faisant, beaucoup ont rejeté le bébé avec l’eau du bain… Dieu s’est retrouvé relégué aux oubliettes.

Les lectures d’aujourd’hui balisent le terrain. Dieu est Dieu et nous sommes ses créatures créées pour le servir.

Servir Dieu n’a rien d’humiliant mais demande de notre part un minimum d’humilité et de bon sens. Quelqu’un a écrit récemment que « L’eau gèle en dessous de zéro, et en dessous d’un certain degré d’humilité, notre humanité aussi.»[2]

Notre ambition c’est en Dieu que nous devons la mettre si nous ne voulons pas nous tromper. Dieu d’ailleurs a de l’ambition pour nous : « c’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob… Je fais de toi la lumière des nations.» C’est ce que nous propose Saint Paul dans la 2ème lecture en nous rappelant que nous sommes « appelés à être saints » C’est-à-dire à rayonner de la sainteté de Dieu qui seul est saint.

Dans l’évangile, c’est encore une fois Jean-Baptiste qui nous montre le chemin en s’effaçant derrière celui qu’il annonce : « Voici l’Agneau de Dieu. Voici celui qui enlève le péché du monde …/… l’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était.»

Pas de complexe d’infériorité chez Jean-Baptiste mais une parfaite conscience de sa mission. “Si je suis venu baptiser dans l’eau c’est pour qu’il soit manifesté à Israël.”

Jean sait bien qu’étant témoin il doit s’engager à fond dans le témoignage sans devenir pour autant obstacle entre ses auditeurs et Celui à qui il les conduit…

Jean a confiance en Dieu : « Celui sur qui tu verras l’esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.» Et même si celui sur qui il voit descendre l’Esprit est son cousin avec qui il a probablement joué et sauté dans les flaques d’eau quand ils étaient enfants, il n’hésite pas : « J’ai vu, et je rends témoignage : C’est lui le fils de Dieu.»

Crédulité ? Non, mais foi profonde enracinée dans la prière et la méditation.

N’ayons pas peur de vivre notre foi. N’ayons pas peur d’enraciner réellement nos vies en Dieu source de toute vie.

« Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles.»

[1] R. Jaouen, L’Eucharistie du Mil, pp. 18-19.

[2] Régis Debray, Le siècle vert, un changement de civilisation, Paris, Tracts Gallimard, 2020, p. 55.