Homélie du 16 septembre 2018

Textes :

 Elle est étonnante cette scène que nous rapporte l’évangile de Marc. On la trouve aussi d’ailleurs, plus développée, chez Matthieu (Mt 16, 13-26).

En réponse à la question de Jésus, Pierre vient de faire sa première et très claire profession de foi chrétienne… « Tu es le Christ » ! Dans une telle affirmation  est sous-entendu : « Tu es le Christ et donc… Je suis chrétien », même si le mot de “chrétien” n’existe pas encore et qu’il faudra attendre encore une vingtaine d’années et la première communauté d’Antioche pour que les disciples du Christ reçoivent le nom de chrétiens. (Ac 11,26)

Alors qu’est-ce qui s’est passé pour que Pierre à qui Jésus venait de faire l’éloge « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » (Mt 16,17) se voit rabrouer si durement : « Passe derrière, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes ! »

Eh bien tout simplement le fait que Jésus, profitant de la belle affirmation de foi du chef de ses disciples, a pensé qu’il pouvait leur faire entrevoir le chemin de souffrance qu’il aurait à parcourir pour établir le Règne de Dieu et manifester son amour sans limite et rédempteur…

Aux oreilles des disciples, un tel discours est non seulement intolérable mais carrément inaudible ! : Comment le Messie Sauveur pourrait-il  souffrir alors que c’est de lui au contraire qu’on attend la consolation ?

L’évocation de cette idée rend les disciples sourds… Au point de ne même pas entendre la promesse de résurrection qu’elle contient ! Un peu comme ces grands malades à qui le médecin explique leur situation et qui ne sont pas prêts à l’entendre…

Vivre oui ! Mais mourir pour entrer dans la vie, ça non !

C’est difficile d’accepter il est vrai, quand on est dans le camp des gagnants ou qu’on pense l’être, qu’il va falloir encore passer par la souffrance et la mort ! C’est même intolérable, insoutenable !

Et pourtant, 700 ans avant le Christ, déjà, le prophète Isaïe avait écrit ces magnifiques “chants du serviteur souffrant” dont nous avons lu un extrait en guise de première lecture : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe…/… je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche, Celui qui me justifie.»

Le psaume que nous avons médité évoque, quant à lui, l’angoisse de l’homme confronté à la souffrance « J’étais pris dans les filets de la mort, retenu dans les liens de l’abîme, j’éprouvais la tristesse et l’angoisse ; j’ai invoqué le nom du Seigneur : “Seigneur, je t’en prie, délivre-moi !”»

Le premier Testament est rempli de ces cris d’angoisse que le peuple d’Israël fait monter vers le Seigneur… Pierre le sait bien et même sans être un érudit, il les connait sans doute…

Mais ce qui est totalement nouveau et déroutant dans le message du Christ, pour Pierre et ses contemporains, c’est que le Messie, celui qui vient nous sauver, se les attribue…

Il ne vient pas nous sauver “de l’extérieur”, comme un pompier ou un sauveteur en mer, mais bien “de l’intérieur même de notre souffrance” ! Il prend sur lui notre souffrance et même notre mort. Il plonge jusqu’au tréfonds les plus angoissants de notre condition humaine mortelle pour en sortir victorieux avec nous ! C’est ce que signifie le « il est descendu aux enfers » de notre profession de foi.

Il ne se compromet pas seulement “pour nous” comme le fait le sauveteur qui plonge pour repêcher un noyé… Il le fait “en nous” en prenant sur lui notre condition humaine et lui ouvrir (réouvrir ?) le chemin de sa vraie grandeur.

Et c’est là qu’intervient Saint Jacques… qui dans la suite des avertissements des dimanches précédents, nous invite aujourd’hui à mettre notre foi en œuvre : « Si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? …/… moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi! »

Croire en Jésus le Christ, c’est accepter, comme Lui et en Lui, de plonger au cœur de la souffrance humaine et de l’arracher à la logique de mort qui la tire vers le bas…

Et là où cela devient grave, c’est que le discours ne suffit pas… « Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : “Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim !” sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? …/… La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte.”»

Bravo, tout le monde applaudi !… : « Quel beau discours ! Ah, dis-donc ce Saint Jacques il parle bien… On manque de nos jours de gens capables d’une telle éloquence pour défendre la foi ! »

C’est vrai, mais au fond ce n’est pas tellement d’apprécier ou non le discours qui nous est demandé… Mais bien de le mettre en pratique.

Alors, concrètement, on fait comment ? On fait quoi devant la misère du monde qui envahit de plus en plus nos villes et nos cités… ?

Je me permets ici, longuement, de citer la lettre ouverte au Préfet cosignée le 07 septembre dernier par 8 associations engagées auprès des personnes en difficultés, dont “la pastorale des Migrants du diocèse du Mans” :

« La nuit dernière encore, au Mans, au moins 15 familles, pour certaines avec des femmes enceintes et des enfants en bas âges, ont dormi à la rue. Hier après-midi, elles ont elles ont appelé le 115 pour demande une mise à l’abri mais Tarmac, l’association qui gère le 115, n’a plus de solutions à leur proposer. Les places financées par l’État sont saturées. [Les services de la Préfecture] refusent d’ouvrir de nouvelles places allant même jusqu’à faire fermer des places d’hôtel et demander une priorisation des accueils des familles sur des critères de vulnérabilité qu’ils ne communiquent pas. C’est la réalité à laquelle le Secours Catholique, la Croix Rouge, Tarmac, les Restos du Cœur, la Pastorale des Migrants, la CIMADE, et plus généralement toutes les associations de solidarité du Mans sont confrontées depuis plusieurs semaines. Réalités de jeunes, de personnes âgées, de femmes isolées avec leurs enfants qui ont perdu leur logement ou qui se sont fait chasser du domicile de leur conjoint, familles en exil fuyant des conflits armés ou la misère, demandeurs d’asile, demandeurs de titre de séjour pour des raisons de santé… …/…

Les demandeurs d’asile sans ressources ont le droit de bénéficier d’un accompagnement et d’hébergement le temps du traitement de leur procédure de demande d’asile et pourtant, au Mans, plus de quarante ménages qui sont dans ce besoin, se retrouvent dans la rue, dans des hôtels ou au centre Noguès. …/…

De nombreuses personnes (des familles mais aussi des jeunes scolarisés) demandent aujourd’hui un titre de séjour et tardent à recevoir une réponse (cela va de quelques mois à quelques années). Ces personnes ne peuvent attendre éternellement dans l’incertitude sans comprendre pourquoi leur demande n’aboutit pas. Ce sont des hommes et des femmes qui ont des talents, ne veulent plus dépendre de la solidarité des citoyens, veulent travailler et pourraient habiter tant de logements qui sont aujourd’hui inoccupés. …/…

Nos structures associatives ont fait des efforts, les bénévoles comme les salariés n’ont pas compté leurs heures ces derniers temps pour accueillir ces personnes en fragilité. Nos accueils restent et resteront inconditionnels, accueillant les personnes à la rue, comme les migrants ou les personnes mal logées afin d’accompagner les plus pauvres et les plus fragiles. Cependant, nos équipes sont débordées et fatiguées par le manque de bonne volonté, de moyens, de solutions et face aux blocages administratifs multiples. »

Peut-être vous demanderez vous pourquoi lire une telle déclaration en chaire ?

D’une part parce que la situation, une semaine après est toujours la même et d’autre part parce que, au-delà des requêtes exprimées aux autorités administratives, il est indispensable que nous ne nous laissions pas contaminer par la culture du déchet et de la résignation qui semble gagner beaucoup de nos contemporains.

Nous ne pouvons ni ne devons pas nous habituer à voir souffrir nos frères devant nos portes sans nous mobiliser ne serait-ce que dans la prière et la réflexion.

Le risque est grand, sinon, de nous voir attribuer la sentence de Saint Jacques : « Tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. »