Homélie du 6 mai 2018

Textes :

Les textes de ce jour sont sous les couleurs de l’amour. Cette expérience humaine si fondamentale …peut être même jusqu’au risque de la banalité.

Je me souviens de cet adolescent rentrant pour la première fois dans une église lors d’une messe dominicale et en ressortant avec la conclusion abrupte que « là-dedans ils ne savent dire qu’amour, amour, amour ». Autrement dit il n’avait entendu qu’une rengaine sentimentale qui lui semblait sans prise sur le réel et pourtant, en même temps, il avait entendu l’essentiel de la « Bonne nouvelle », Dieu est amour, Dieu n’est qu’amour.

Et en effet, quoi de bouleversant, quoi de neuf là-dedans puisque depuis la nuit des temps l’humanité expérimente, fait cette expérience toute à la fois si saisissante et si banale de l’amour. L’amour qui réunit les membres du clan, l’amour des chasseurs pour le gibier…car tel est une partie du problème, amour et aimer disent tout et rien. Particulièrement dans la langue française ou on aime indistinctement le chocolat, ses enfants, son pays, le bon vin, son conjoint et la belle-mère qui va avec…

Chez les anciens grecs on distinguait Eros et l’amitié (philia).
Eros, cette énergie de vie qui est selon Platon fils de Richesse et de Misère, de Ploutos et de Pénia. C’est-à-dire fondée sur un manque que l’on ne cesse de vouloir combler. Mais ce manque est cela même qui ne nous tient, ne nous pose pas sur place comme des plantes ou des pierres mais nous pousse sans cesse en avant, fait de nous des vivant toujours en mouvement.
L’amitié c’est le fameux « parce que c’était lui, parce que c’était moi », sentiment d’élection, sentiment aristocratique s’il en est.
Mais dans « La Bonne nouvelle » l’amour est l’intrusion d’une nouveauté, de la nouveauté même de Dieu.
Il ne s’agit pas d’abord d’aimer comme un père, une mère, un chasseur, un amant, un gourmand, un affamé…non ! il s’agit d’aimer comme Dieu aime.
Le neuf ici c’est « que ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui qui nous a aimé ». Autrement dit Dieu n’est pas le produit de nos manques, de nos désirs…Dieu est l’étranger, l’inattendu qui surgit dans un monde voué à la mort.

Eros est incapable de gratuité, dans le meilleur des cas il ne peut donner que ce qu’il possède déjà et, s’il ne reçoit pas en retour la même énergie, il s’épuise, se vide.
En ce monde quoi de plus beau que l’amour des parents pour leurs enfants ? Et bien même cette amour-là doit recevoir la contrepartie de ce qui a été dépensé ; les parents qui ne sont pas aimé en retour par leurs enfants se contractent et meurent ; nos hospices et autres EPHAD sont remplis de ces vieux non pas temps, peut-être, épuisé par l’âge que d’avoir donné sans recevoir suffisamment en retour.
Eros est incapable de gratuité, et, bien souvent, trop souvent, d’un appétit insatiable comme le désir, il se fait « dévorant », dévorateur des autres …et de soi. Éros est un pour la vie jusqu’à la mort, chez lui le cri « vive la vie » est inséparable du mortifère « vive la mort ».

Seul le Dieu qui, de riche qu’il était, c’est fait pauvre, en Jésus, pour enrichir du don de sa vie, de son être même, chacun et chacune d’entre nous, est capable de cette amour surnaturelle qui a pour nom gratuité car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Et « je vous dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite ».

La joie est ici le signe même de la bonne heure de Dieu parmi nous, non pas un bonheur individuel, accomplissement de ce qu’il y a de plus médiocre en moi…non ! Mais un bonheur qui est celui d’une réjouissance collective, d’un feu de joie qui est joie de Dieu, véritable jouissance de soi et des autres en cet Autre appelé Dieu.
« Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres », ce commandement de vie est joie parfaite à condition de bien avoir entendu les prémices, à savoir « puisque l’amour vient de Dieu…car Dieu est amour ».
Aucune autre réalité en ce monde ne peut se prévaloir véritablement de ce beau nom …AMOUR. Dans la nature il n’a que manque et dévoration, Dieu seul…accompli !

Simplicité de cette vie qui vient de Dieu et qu’il ne s’agit que de recevoir…et pourtant toute la difficulté est là, apprendre de Dieu à recevoir et non pas prendre et dévorer avant d’être pris et dévoré à son tour…Dieu est cet étranger qui nous dévoile l’étrangeté du monde et notre proximité avec celui qui est réellement car seul capable de donner, de se donner…