Homélie du 6 janvier 2019

Il est beaucoup question de ronds-points ces derniers temps dans notre pays.

Le rond-point, lieux hautement symbolique de la croisée des chemins nous rappelle que toute vie est régulièrement confrontée à des choix…

Quelle direction prendre ? Pour aller où ? C’est probablement plus ou moins consciemment pour cela que le mouvement de contestation qui agite notre pays actuellement a choisi les ronds-points pour appeler à ralentir et à dialoguer…

Il me semble que tout appel au dialogue doit résonner positivement dans le cœur d’un chrétien…

En tout cas, je connais un rond-point auquel il convient tout particulièrement de s’arrêter. C’est celui où Dieu lui-même s’est installé il y a deux mille ans, dans les faubourgs, dans les “périphéries” de Bethléem…

Nous fêtons aujourd’hui la fête de l’Épiphanie… Ce terme, ne l’oublions pas, signifie “manifestation”… révélation…

En ce jour d’Épiphanie, nous célébrons une manifestation organisée et convoquée par Dieu lui-même en collaboration avec Joseph et Marie… Manifestation à laquelle l’univers entier est convoqué par l’étoile qui conduit les mages venus de tous les horizons  jusqu’au rond-point de la Crèche…

En fait, “Épiphanie” signifie littéralement “Manif pour tous” !!!

En effet, à la Crèche, Dieu invite l’humanité tout entière pour entrer en conversation avec elle…

À la crèche, Dieu ouvre le dialogue.

Pour ce faire, il s’investit tout entier, “corps et âme” pourrait-on dire. Pour cela, sa Parole, le Verbe, parole éternelle et créatrice de Dieu, vient, en personne, partager notre condition humaine…

Quand on contemple la crèche attentivement on remarque inévitablement que la Parole de Dieu, faite chair, finalement nous  “donne la parole” au sens fort du terme… Elle nous invite à “prendre la Parole.”

En effet, “le nouveau-né couché dans une mangeoire” donné comme signe aux bergers, “l’enfant avec Marie sa Mère” proposé à l’adoration des mages, nous provoque, tous et chacun, à réagir…

Il est très signifiant que le Verbe, la Parole de Dieu ; en son incarnation, se fait d’abord silence, gazouillis, balbutiements ineffables de nouveau-né qui éveillent et obligent en quelque sorte notre propre prise de parole… : Personne, à moins d’avoir un cœur de pierre, ne peut rester indifférent devant un nouveau-né…

Me rappelant, en passant, que Bethléem signifie littéralement “maison du pain”, j’entends en écho cette parole de Jésus devenu grand : « Lequel d’entre vous donnera une pierre à son fils quand il lui demande du pain ? ou bien lui donnera un serpent, quand il lui demande un poisson ? » (Mt 7,9) et nous voilà confronté au dialogue en vérité…

À la crèche, ce n’est ni par le fracas du tonnerre et de la violence, ni par la puissance des armes répressives que le Dieu sauveur prend la parole et provoque notre réaction, mais par la paix d’un nouveau-né abandonné entre les bras de sa mère ou sous le souffle chaud de deux bêtes de somme…

Nous sommes là à un vrai carrefour, ce fameux rond-point dont je parlais en commençant… Rien ne sera plus comme avant… La route que nous allons prendre quelle qu’elle soit, sera autre que celle dont ce croisement devient inévitablement le point de départ…

Le monde entier bouge et se positionne autour de ce nouvel épi/centre qu’est le nouveau-né couché dans la paille…

Le tout premier à bouger, nous en avons parlé il y a quinze jours, et ce dès avant la naissance de Jésus, c’est le Baptiste qui tressaille dans le sein de sa mère quand Marie vient à la rencontre d’Elisabeth. C’est lui qui, trente ans plus tard, manifestera la venue de celui qui tient en main la pelle à vanner…

Ensuite ce sont les bergers qui se mettent en route pour raconter l’évènement en louant et glorifiant Dieu… Trente ans plus tard, les humbles pécheurs de Galilée recrutés par Jésus pour être ses témoins, feront la même chose…

Les Mages aussi se mettent en route depuis les confins de la terre. Rencontrant Jésus en son humilité, ils comprennent qu’ils ne peuvent retourner chez eux par le chemin qui les a conduits jusqu’ici, celui qui passait par les antichambres du pouvoir…

Cela me rappelle, trente ans plus tard, Saul l’érudit de Tarse, qui partant sur la route de Damas pour persécuter le Christ en ses disciples, convertit son regard et devient apôtre à son tour…

Hérode lui aussi bouge et s’agite beaucoup… La peur et la colère s’éveillent en lui avant même d’avoir pris le temps d’entendre vraiment ce qu’exprime le silence de Dieu. Hérode met ses chiens en chasse provoquant un massacre d’innocents comme on en voit trop souvent dans l’histoire des hommes…

Il est impressionnant de retrouver le même scénario, trente ans plus tard. Le silence de Jésus confronté à Pilate lui-même déstabilisé dans l’exercice de son pouvoir et devenant menaçant au point de prononcer la mise à mort du juste…

Joseph et Marie enfin qui sont les premiers à s’être mis en chemin après avoir accepté la mission d’accueillir et d’éduquer le Verbe Dieu, Emmanuel, Dieu parmi nous. Ils vont encore une fois se mettre en route, cette fois-ci sur le chemin de l’exil et de l’immigration… permettant à l’Écriture de s’accomplir : « d’Égypte j’ai appelé mon fils ! » (Cf. Mt 2,15 et Os 11 1,1b)

On voit bien que tous se trouvent à un carrefour… et que chacun doit se décider. La rencontre et l’écoute du silence si parlant de la Crèche, fait que chacun repart dans une direction nouvelle, orientée par la manière qu’il a d’écouter et de percevoir ce qui se passe…

Et nous ? Serons-nous capables d’entendre la leçon pour aujourd’hui ? Avons-nous pris tout d’abord, le temps de nous asseoir près de la crèche ? Que ce soit chez nous, dans cette église, ou n’importe quel autre lieu, pour écouter le silence de Dieu parler à notre cœur ?

Il n’est pas trop tard… Le temps de Noël n’est pas encore fini et nous sommes encore au début de l’année, nos bonnes résolutions de nouvel an ne peuvent pas encore être tout à fait enterrées !

Avec le Pape François s’adressant récemment aux cardinaux de la curie romaine, rappelons-nous que « Noël est la fête du Dieu grand qui s’est fait petit et qui dans sa petitesse ne cesse pas d’être grand.» Rappelons-nous que « Dans cette dialectique “grand est petit” : c’est la tendresse de Dieu qui se manifeste.»[1]

Puissions-nous apprendre de la fête de l’Épiphanie, à écouter Dieu quand il parle au monde…

En ce début d’année, appelons sur chacun d’entre nous et sur notre monde la tendresse de Dieu qui, au-delà de toute forme de manifestation, nous invite au dialogue et à la remise en question de l’ordre établi ou plutôt des “désordres établis” dont l’Emmanuel, (le vrai !), prince de la Paix vient nous sauver !…

[1] Pape François, Discours à la Curie romaine, pour les vœux de Noël, 21 décembre 2018.