Homélie du 20 janvier 2019

Textes :

Si vous avez été attentifs à la première lecture vous aurez peut-être comme moi ressenti comme un baume au cœur le grand appel à l’espérance que fait retentir Isaïe : « Les nations verront ta justice …/… On ne te dira plus “délaissée”. À ton pays nul ne dira “désolation.”»

Encore une fois, je ne peux m’empêcher de le référer à l’agitation qui traverse notre pays actuellement…

Toutefois, je note que l’espérance que stimule Isaïe, repose sur un engagement clair et net de sa part : « Pour la cause de Sion je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle.»

Le Psaume lui fait écho sans ambiguïté… : « Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi ! Il gouverne les peuples avec droiture !»

L’Évangile qui est proposé à notre méditation, quant à lui, est celui des Noces de Cana… Une fête qui sur le point de mal tourner se change en action de grâce !

Regardons-y de plus près…

Par sa manière de faire, “la première en chemin”, Marie, nous montre la route à suivre si nous voulons assumer notre engagement de chrétien, disciples de Jésus-Sauveur…

Il s’agit d’être là, pleinement présent à ce que vivent nos frères pour entrer dans la fête avec eux.

« Marie était là » nous dit Jean. Elle entre dans la fête mais sans s’y noyer… Elle garde le cœur en éveil, attentive aux autres. Elle constate les problèmes qui pointent et en parle à Jésus… Elle Lui ouvre les yeux à la réalité et le place devant ses responsabilités de Sauveur…

Devant les angoisses et les frustrations qui s’expriment actuellement autour de nous, l’attitude de tout chrétien au quotidien devrait être celle de Marie.

Marie ne sait pas ce que va faire Jésus. Ce qu’elle sait, c’est que l’ange Gabriel lui a demandé, ainsi qu’à Joseph, de donner à son fils le nom de Jésus « ce qui veut dire : Le-Seigneur-sauve » (Mt 1, 21) Alors, s’adressant aux serviteurs, elle leur dit : « Tout ce qu’il vous dira faites-le.»

Si, comme Marie, nous voulons présenter à Jésus les situations dramatiques qui s’expriment autour de nous, nous ne pouvons pas nous contenter de nous poser en spectateurs de ce qui se passe… Encore faut-il nous laisser traverser par les questions qui s’expriment. D’ailleurs, même si nous sommes un peu troublés ou perturbés par la manière dont elles s’expriment, nous sommes obligés de reconnaître que ces questions nous concernent et nous remettent en question, nous aussi, de l’intérieur…

Ne tombons pas trop vite dans les jugements négatifs. Ne jetons pas trop vite le bébé avec l’eau du bain… Laissons à la réalité le temps de s’exprimer. Il y a beaucoup de positif dans le remue-ménage et le “remue-méninges” qui agitent notre société…

Oh, bien sûr, il ne s’agit pas de tomber dans l’optimisme béat. Bernanos écrit fort justement d’ailleurs que, « neuf fois sur dix l’optimisme est une forme sournoise de l’égoïsme, une manière de se désolidariser du malheur d’autrui. »

Non, il s’agit plutôt d’entrer dans l’espérance, dont le même Bernanos nous dit qu’elle est le fruit d’une conquête. « On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts et d’une longue patience. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.”[1]

Alors, tout en gardant notre liberté et notre discernement devant le flot de “fake-news” et de violence qui envahit les médias et les réseaux sociaux, n’ayons pas peur de nous laisser “embarquer” un peu malgré nous, dans le dialogue.

Ne nous posons pas trop vite en donneurs de leçons. Ne nous positionnons pas trop rapidement en spécialistes du dialogue. Ce que nous reprochons si facilement aux gouvernements successifs, nous le vivons parfois nous-mêmes au sein même de notre propre Église ou de nos propres familles…

Le contexte de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous rappelle que nous n’avons pas toujours été au top dans le domaine de la cohésion entre les hommes ! Qu’avons-nous fait, nous chrétiens, de la prière de Jésus au soir du Jeudi-Saint : « Que tous soient un pour que le monde croie ! » (cf. Jn 17,21)

En toute humilité essayons de rester attentifs à ce qui se passe autour de nous et jusque dans nos mairies respectives et n’hésitons pas à accompagner tout ce qui peut concourir à un vrai dialogue social et à une plus grande convivialité.

Membres du corps du Christ, nous sommes les yeux et les oreilles dont Jésus a besoin pour rejoindre la réalité d’aujourd’hui… N’est-ce pas déjà une indication de la manière dont nous pouvons vibrer à ce qui fait vibrer nos contemporains ?

Restons surtout attentifs à ce que Jésus attend de nous. Écoutons Marie dire aux serviteurs que nous sommes ou que nous pourrions être : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ! »

Alors, qu’est-ce que Jésus veut dire à notre monde, aujourd’hui ? De quoi et comment Dieu veut-il nous sauver aujourd’hui ?

Saint Paul dans la deuxième lecture nous fait comprendre que nous sommes tous concernés par la mise en œuvre et la sauvegarde du bien commun… « À chacun de nous est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien… » Faisons donc preuve d’un peu de créativité et n’ayons pas peur de “mouiller notre chemise” !

Bien souvent, dans nos prières universelles, nous demandons à Dieu de donner clairvoyance et discernement à nos dirigeants… C’est bien, mais c’est un peu facile ! N’est-ce pas une manière de se décharger de nos responsabilités personnelles ! C’est un peu comme quand on récite le bénédicité classique : « Bénis ce repas, ceux qui l’ont préparé et… procure du pain à ceux qui n’en n’ont pas ! »

Jésus nous répond, comme à ses disciples qui lui font remarquer que la foule est affamée et sur le point de défaillir : « donnez-leurs vous-mêmes à manger ! » (Lc 9,13)

Là où certains voudraient enfermer notre monde dans la violence et la loi du plus fort, notre rôle ne serait-il pas, au nom du « frère aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29), de servir l’élévation du débat, humblement mais sans rougir des convictions qui nous habitent,  en invitant nos contemporains à relever la tête et à chercher ensemble ce qui peut donner du sens à notre vie commune.

Ne pouvons-nous pas, à l’école de Jésus, proposer à notre monde de sortir de l’impasse individualiste où les incessants progrès techniques font miroiter à nos yeux un prétendu épanouissement personnel et une vie sans limites.

Il s’agit tout bonnement de mettre en œuvre le monde fraternel que la naissance de Jésus en notre chair, établit définitivement comme Royaume des Cieux déjà à l’œuvre au milieu de nous.

« Faites tout ce qu’il vous dira » nous dit Marie. Et que nous dit Jésus ? : « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.» (Jn 12,25) « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,12-13)

Dans quelques instants nous allons célébrer et faire mémoire du festin des noces de l’Agneau. Ce mémorial, nous rappelle que Jésus est mort « pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 51-52)  Sommes-nous prêts nous aussi au risque d’y laisser notre peau comme l’a fait Jésus lui-même et nombre de nos aînés dans la foi à sa suite ?

En sa mort sur la Croix, Jésus “consomme” l’alliance éternelle de Dieu avec l’humanité… En Lui, Dieu et l’Homme ne font définitivement plus qu’un ! Et nous sommes les annonceurs de cette Alliance Nouvelle…

Chrétiens nous avons pour mission d’inviter tous les hommes au festin des noces de l’humanité où Dieu sert le bon vin en dernier, celui qui coule du côté transpercé du Christ en Croix !

Fort d’une espérance invincible qui n’a rien à voir avec la naïveté, avec l’ange de l’Apocalypse, n’ayons pas peur de partir à la recherche de nos contemporains et de les inviter : « Heureux les invités au Festin des noces de l’Agneau ! …» (Ap 19, 9).

 

[1] Georges Bernanos, La liberté, pour quoi faire?, 1953.