Homélie du 29 septembre 2019

Textes :

Frères et sœurs, chers amis,

Nous sommes venus de divers coins de notre diocèse mais aussi de divers coins de la planète pour nous associer par la prière à la grande journée mondiale du Migrant et du Réfugié…

Une paroissienne d’origine africaine me disait récemment : « même si je ne me reconnais pas dans le vocable de réfugié ou de migrante, je sais bien que nous sommes tous sur terre “comme des étrangers résidents ou de passage.” (Cf. 1 P 2, 11)»

Nous, les chrétiens, nous affirmons avoir le visage tourné vers notre Père du Ciel, en « aspirant à la patrie des cieux », nous prétendons même avec la Lettre aux Hébreux que « Dieu n’a pas honte d’être appelé notre Dieu, puisqu’il nous a préparé une ville où nous établir.» (cf. Hb 11,13-16)

L’auteur de cette Lettre va jusqu’à dire que « Jésus n’a pas honte de nous appeler ses frères !» (Hb 2,11). Apprenons alors, avec Baba Simon, un saint prêtre camerounais, à « voir Dieu et les hommes comme Jésus les voit.»

Le thème que le Pape propose pour cette 105ème journée mondiale du Migrant et du Réfugié, “Il ne s’agit pas seulement de migrants !” tape parfaitement dans le mille…

Toute personne, migrante ou non, est avant tout une personne humaine et nous devons la regarder comme telle. « Un migrant n’est pas plus humain ou moins humain en fonction de sa situation d’un côté ou de l’autre d’une frontière » déclarait le roi du Maroc à la Conférence Intergouvernementale sur les migrations, à Marrakech, le 10 décembre 2018.

Nous chrétiens, nous savons que c’est notre vocation, notre mission, de regarder et de recevoir toute personne humaine comme un frère que Dieu me donne à aimer et à qui il me donne pour en être aimé…

Il est vrai que l’embrouillamini dans lequel nos légistes veulent nous embarquer ces derniers temps rend de plus en plus “has been” le fait de recevoir l’autre comme un don gratuit et non comme le seul projet de mon désir égocentrique…

Chrétiens de la Sarthe, n’oublions pas que la fraternité est l’un des quatre fondamentaux que retient notre synode diocésain… Le texte de l’Évangile de ce jour est la parfaite illustration, en négatif, de cette interpellation…

Le riche, plein aux as, dont vous aurez sans doute remarqué, que l’on ne connait même pas son nom…, se contrefout royalement de Lazare qui meurt à petit feu devant son portail. Préoccupé de lui seul, il construit son bonheur « aux marges de la réalité et de la souffrance des autres.» (JMMR 2019) Ce n’est que quand il sera à son tour dans le besoin, que le riche s’intéressera à Lazare. Non pas pour s’intéresser à lui, mais pour essayer de le mettre à son service… « Père Abraham, envoie  Lazare… car je souffre ! »… Et ensuite : « Envoie Lazare dans la maison de mon père auprès de mes frères… »

Dieu que nous sommes loin du « Notre Père » qui reconnait tout homme comme un frère, « sur la terre comme au ciel »

En proie à la torture du séjour des morts, le riche n’a toujours rien compris, il est encore totalement encombré de lui-même !

Jésus peut-il encore ne pas avoir honte de l’appeler son frère ? J’en doute s’il on en croit la parabole du jugement dernier : « Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli… » (Mt 25, 41-43)

L’interpellation de Saint Paul à Timothée que nous avons entendu tout à l’heure est pour chacun d’entre nous… : « Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! »

Prenons-nous vraiment au sérieux ces avertissements ?

N’avons-nous pas tendance à nous assoupir au son des harpes médiatiques et à boire « à même les amphores » le vin que nous sert la société de consommation ?

Attention nous dit Amos : « La bande des vautrés n’existera plus ! »

Si nous ne voulons pas être évacués, éjectés avec elle de la droite du Père, ayons le bon sens de regarder le migrant comme une personne et, plus encore, laissons-nous interroger et remettre en question par le regard qu’il pose sur nous. Son regard qui demande l’hospitalité, est le regard du Christ en Croix, notre frère : « J’ai soif ! » (Jn 19,28)…

Sachons reconnaître, avec le Pape, que « sa présence, parfois dérangeante, contribue à dissiper les mythes d’un progrès réservé à quelques-uns, mais bâti sur l’exploitation de la multitude.» (JMMR 2019)

Apprenons à voir « dans le migrant et dans le réfugié non pas seulement un problème à affronter, mais un frère et une sœur à accueillir, à respecter et à aimer.» (JMMR 2014)

Si nous n’osons pas, au-delà de nos questions ou de nos peurs, élargir nos cœurs et “l’espace de notre tente” (Cf Is 54,2) à la dimension de la famille humaine et du cœur de Dieu, à quoi bon se dire encore chrétiens ?  Si nous ne sommes pas prêts, avec Saint Paul, à dire à tous ceux qui frappent à notre porte : «vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu » (Ep 2, 19) à quoi bon dire encore le Notre Père ?

« Ce n’est pas seulement la cause des migrants qui est en jeu, ce n’est pas seulement d’eux qu’il s’agit, mais de nous tous, du présent et de l’avenir de la famille humaine. Les migrants, et spécialement ceux qui sont plus vulnérables, nous aident à lire les “signes des temps”. À travers eux, le Seigneur nous appelle à une conversion, à nous libérer des exclusions, de l’indifférence et de la culture du déchet. À travers eux, le Seigneur nous invite à nous réapproprier notre vie chrétienne dans son entier et à contribuer, chacun selon sa vocation, à l’édification d’un monde qui corresponde toujours davantage au projet de Dieu.» (JMMR 2019)

« Ce qui est en jeu, nous dit le Pape, c’est le visage que nous voulons nous donner comme société et la valeur de toute vie.» (JMMR 2019)

Il est beaucoup question de se “manifester” ces derniers temps… La première manifestation à laquelle Dieu nous appelle, sans pour autant mépriser les autres formes de se manifester, c’est celle de la charité vécue, ici et maintenant…

Reprenant conscience que nous sommes le Corps du Christ Seigneur à l’œuvre dans le monde, mettons en œuvre, ici et maintenant, les quatre verbes que le Pape ne cesse de nous proposer comme feuille de route : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer.

« Ces verbes, nous dit-il d’ailleurs, ne valent pas seulement pour les migrants et pour les réfugiés. Ils expriment la mission de l’Église envers tous les habitants des périphéries existentielles, qui doivent être accueillis, protégés, promus et intégrés. Si nous mettons ces verbes en pratique, nous contribuons à construire la cité de Dieu et de l’homme, nous encourageons le développement humain intégral de toutes les personnes et nous aidons aussi la communauté mondiale à s’approcher des objectifs du développement durable qu’elle s’est donnés et qu’il sera difficile d’atteindre autrement.» (JMMR 2019)

Cela ne revient-il pas finalement à mettre en œuvre ce que chantait le psalmiste tout à l’heure ? : « Le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant. D’âge en âge, le Seigneur régnera… »