Homélie du 25 octobre 2020 (Grégoire)

Textes :
   Ex 22, 20-26
   Ps 17 (18), 2-3, 4.20, 47.51ab
   1 Th 1, 5c-10
   Mt 22, 34-40

Frères et sœurs,

de tout temps, dans les sociétés dites civilisées, la loi est envisagée comme un cadre pour protéger les plus faibles. Ce n’est pas une spécificité chrétienne ou judéo-chrétienne.

L’objectif de toute civilisation digne de ce nom, c’est de sortir de “la loi de la jungle” où chacun se bat pour survivre au cœur d’un monde hostile. Dans la jungle, inévitablement le plus fort bouffe le plus faible : Il faut jouer des crocs, des griffes et des cornes pour défendre son territoire et son casse-croûte ! Ou bien courir plus vite que son prédateur !

L’humain, en découvrant sa capacité de liberté, a compris qu’il était capable de dominer le monde, à condition d’apprendre à dépasser son instinct… Il a compris progressivement que, seule, la loi de la nature ne suffit pas à donner du sens à sa vie. Il lui faut mettre en œuvre son intelligence (sa capacité à lire les choses de l’intérieur) pour se réaliser en plénitude. Quelque chose de plus grand que lui, l’invite à organiser sa vie en société. Il comprend qu’il a un rôle premier à jouer au cœur du monde créé. Il y cherche donc sa juste place et la place de chacun…

Cette recherche est difficile pour lui parce qu’il est tiraillé entre la satisfaction de ses besoins égocentrés et la nécessité de vivre en harmonie avec la nature et avec ses semblables.

Nou,s chrétiens, héritiers avec nos frères juifs et musulmans de la révélation que Dieu fait de lui-même à Abraham, nous affirmons que Dieu est « créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible ». Par Lui et en Lui nous comprenons que le monde s’inscrit dans une histoire : générations après générations, nous sommes invités, appelés, par plus grand que nous à apporter notre contribution à l’écriture de cette histoire et à l’édification d’une société qui corresponde à la volonté du Créateur.

Depuis Abraham nous savons que cette histoire est une histoire d’Alliance entre le Créateur et sa création… Par Moïse nous savons aussi que Dieu non seulement s’intéresse mais s’implique dans sa création et que sa colère s’enflamme en écoutant le cri de la veuve et de l’orphelin.

En Moïse, au Sinaï, s’édifie un ensemble de lois destinées à protéger cette alliance au bénéfice de tous… De Dieu jusqu’au plus petit d’entre nous…

Nous savons bien que les lois qui régissent une société doivent être en permanence revisitées pour s’adapter à la réalité du monde qui change… Et la Torah elle-même ne s’est pas écrite en un jour…

Ce qui est intangible c’est le cœur de la Loi, ce qui lui donne sa raison d’être : l’alliance entre Dieu et sa création.

La question que le docteur de la Loi Jésus pose à Jésus pour le mettre à l’épreuve, dans l’évangile d’aujourd’hui n’est pas un piège, mais plutôt une recherche de cohérence… : « Maître, dans la Loi, quel est le plus grand commandement ? » Les pharisiens et tous ceux qui comme eux entendent l’enseignement de Jésus et voient son comportement ont besoin de comprendre la cohérence de cet enseignement d’un style si nouveau…

Cela me fait penser à ces nombreuses questions que se posent beaucoup de chrétiens de bonne volonté sur l’enseignement de notre bien-aimé Pape François. Sa manière d’être et ses prises de parole sortent tellement des sentiers battus qu’elles en deviennent parfois déroutantes quand ce n’est pas occasion de scandale pour certains… Il n’est que de voir ce qui s’est passé cette semaine dans les médias à propos du droit revendiqué par François pour les homosexuels d’avoir une famille…

Les médias friands de scandales ne se sont pas gênés pour essayer, encore une fois, de déstabiliser le monde catholique…

Nous avons, et c’est normal, besoin de “clés de lecture” pour comprendre l’enseignement d’un maître quel qu’il soit. Surtout quand son langage n’est pas celui auquel on est habitué.

Le docteur de la Loi voit bien que Jésus semble très libre vis-à-vis de l’enseignement traditionnel et que la manière qu’il a de se faire le prochain de gens en situation plus ou moins régulière, pose beaucoup de questions aux esprits attachés à la Loi de Moïse… Il voudrait comprendre. Dans son schéma classique, il cherche à hiérarchiser les commandements et ce qu’il doit écrire “en haut de la page” de sa feuille de route…

La réponse de Jésus est claire : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Ainsi donc, nous dit Jésus, Aimer Dieu et son prochain sont un seul et même commandement… Ce n’est pas étonnant que ce soit Saint Matthieu qui nous rapporte cette parole de Jésus lui qui, trois chapitres plus loin, nous rappellera cette autre parole de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Cf. Mt 25,40)

« Faut pas tout confondre » direz-vous peut-être !…

Il ne s’agit pas de confusion, mais de convergence. Il ne s’agit pas d’idolâtrer le prochain ou l’être humain, mais comme nous le faisait comprendre Jésus dimanche dernier « de rendre à Dieu ce qui est à son image ! » Or ce qui est à l’image de Dieu nous dit la Genèse c’est l’Homme, Homme et Femme. (cf. Gn 1, 26-27)

À propos d’image, je voudrais rappeler que se moquer de l’image de Dieu en lui-même où dans sa créature, c’est ouvrir la porte à la violence…

Et même si la liberté d’expression est l’un des aspects de la liberté propre à l’homme, Saint Paul nous rappelle que : « Tout est permis, mais tout n’est pas constructif. » (1 Cor 10, 23) ajoutant aussitôt : « Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui. »

Quand j’entends certains vouloir ériger le blasphème comme un droit de l’homme, je m’inquiète de l’avenir de la communauté humaine…

Quand la loi se pense uniquement comme la protection de l’individu de disposer de lui-même, fusse au mépris de l’innocent que cette manière de faire met en danger, je me dis qu’il est grand temps de s’asseoir ensemble pour redéfinir la règle du jeu… et poser les inter/dits, (les paroles dites entre nous) d’une société  vraiment fraternelle.

Liberté, égalité, fraternité, sont des concepts et des idéaux qui s’appellent l’un l’autre au risque sinon de voir se développer la dictature de l’individualisme qui n’est finalement qu’une expression moderne de la loi de la jungle !

« Vous avez été appelés à la liberté, nous dit St Paul, Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. Car toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.» (Galates 5, 13-14)

Puissions-nous, chrétiens que nous sommes, rappeler au cœur des débats qui agitent nos sociétés occidentales que « la défense de la vie de sa conception jusqu’à sa fin est une question d’écologie intégrale »[1] et que l’amour et le respect du prochain, quel qu’il soit est le moyen le meilleur que Dieu nous donne pour Lui prouver notre amour.

Avec le psalmiste redisons : « Je t’aime, Seigneur, ma force : Seigneur, mon roc, ma forteresse, Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire ! »

 

[1] Mgr Pierre Antoine Bozo, évêque de Limoges, 20 juillet 2020.