Isaïe 9, 1 – 6 ; Tite 2, 11-14 ; Luc 2, 1-14
En écoutant Saint Paul demander aux croyants de son temps de « vivre dans le temps présent de manière raisonnable » je me suis demandé… non pas ce que cela pouvait bien vouloir dire, car l’expression même de « raisonnable » indique comme une évidence, évidence sans doute changeante au gré des circonstances, des temps et des environnements…mais bien plutôt ce qu’est un Dieu raisonnable qui serait en consonance avec ce « vivre de manière raisonnable ». Voilà une bonne question pour une veillée de Noël, non ?
Oui, alors je continue.
Si raisonnable pointe bien vers évidence alors ce qui en Dieu est évident c’est sa toute puissance et son jupitérien éloignement. Le pouvoir et la force voilà une évidente définition de Dieu. Un souverain tout puissant, cosmique à qui on fait des suppliques appelé prières. Ou/et une Énergie qui nourrit, renforce ma faiblarde vitalité jusqu’à une dilation astrale. Le vocabulaire change, impressionne mais tout cela revient au même. Un dieu utile et dévorant, à la mesure de tous les narcissismes et appétits. Malgré les apparences un tel dieu est terriblement proche de nous.
Mais en cette veillée de Noël quel est donc le Dieu qui se fait proches en la crèche, littéralement : « quel est le Dieu qui vient crécher chez nous ? »
Dans l’Évangile il y a un empereur, un homme auguste, une vraie image du dieu souverain ; il ordonne et les masses humaines se mettent en mouvement. Formidable énergie, triomphe de la volonté.
Mais aussi et surtout une femme qui, faute de place dans la salle commune, met son enfant au monde dans une mangeoire. Ainsi que des bergers qui garde leur troupeau dans les champs. Et enfin un Ange qui révèle un « signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né…couché dans une mangeoire ». Et ce signe, un nouveau-né dans une mangeoire, est sensé provoquer une grande joie. Comment un signe aussi dérisoire peut-il être une bonne nouvelle, la Bonne Nouvelle du Seigneur qui vient ? N’aurait-il pas fallu plutôt appeler la police et les assistantes sociales ? ou du moins leurs équivalents d’il y a 2000 ans ?
Pourtant si le Dieu de l’Évangile se donne à voir et à toucher par ce qui est le plus faible au monde, un bébé humain (ce truc là ça braille, faut sans cesse y porter attention, c’est incapable de vraiment se débrouiller avant 20 ans et encore là je suis optimiste…), cela doit bien faire sens.
Et il commence (pour en rajouter une couche, un peu facile avec un nouveau-né) par se laisser voir et toucher par ce qui est, du temps de Jésus, le rebut de l’humanité : des bergers, des humains (si on peut les appeler ainsi) que l’on fait vivre et travailler loin de la cité, auprès des bêtes (c’est-à-dire les troupeaux et les bêtes sauvages qui tournent autour). Il faut dire que passer son temps avec les chèvres et les boucs sa doit pas vous donner une conversation très élaborée, par contre un effluve odorant qui elle doit se repérer de loin, de très loin.
Et si cela ne suffisait pas Jésus ne nait pas dans la salle commune (là où se tiennent les humains) mais en dehors de celle-ci, dans l’abri des bestiaux de tout poil et acabit.
Des miséreux, des intouchables et des animaux…voici les premiers familiers du Dieu qui vient parmi nous.
Misérabilisme ? Complaisance pour ce qui est insignifiant ?
Bien plutôt le signe d’un Dieu dont la raison d’être est aux antipodes de tout appétit dévorant, faim inextinguible, toute puissance illusoire, narcissisme et égotisme…
Il ne vient pas écraser et remettre de l’ordre, et d’abord quel ordre ? celui des cimetières ou effectivement aucune tête ne bouge…
Non, il vient comme se confier à nous, nous donner une nouvelle chance…celle d’échapper enfin à notre soif inextinguible de reconnaissance et de possession jusqu’à l’explosion de soi et du monde. Notre salut c’est ce Dieu fragile qui s’est confié à nous et nous convie à choisir la vie. Je ne fais pas ici de sentimentalisme car nous avons le choix qu’entre Hitler et Jésus, entre celui qui affirme qu’en ce monde ne règne que la force et celui qui dit de mettre toute sa force au service de ce qui est. Puisqu’être c’est en vérité aimer et que c’est bien l’amour qui fait mouvoir le soleil et les autres étoiles selon les prophétiques paroles du poète. La vie est sans doute tragique mais pour le moins elle nous donne d’exister, alors soyons des vivants. Solidaires de tous « les vivants souffrants », les plus pauvres d’entre les humains d’abord car le crucifié est bien le pauvre d’entre les pauvres. Mais aussi des bêtes domestiques et sauvages qui peuplent bergeries, champs et bois. Car c’est d’abord au milieu d’eux, les plus pauvres et les animaux, que celui que l’on attendait plus (ou si mal) s’est rendu présent, c’est fait proche de chacun, de chaque « vivant souffrant ».
La vraie force de Dieu c’est cette faiblesse qu’il nous donne à voir en cette crèche. Le reste n’est qu’illusion, une sordide illusion, une impiété pour reprendre le vocabulaire de Saint Paul. La toute-puissance de Dieu en cette veillée de Noël c’est donc l’Amour et rien d’autre. Et l’Amour se livre, à nous de ne pas être des geôliers mais des amants.