Homélie du 23 décembre 2018

Textes :

 

Aujourd’hui, en cette quasi-veille de Noël, alors que nous venons d’allumer la quatrième bougie de l’Avent, c’est le mystère de la Visitation que l’Église propose à notre contemplation…

Marie, toute juste remise de la visite de l’Ange, se met en route… Sans peut-être prendre vraiment conscience de ce qu’elle fait en profondeur, elle porte Jésus à la rencontre du précurseur “in utero”…

C’est alors que, tressaillant dans le sein de sa mère, Jean qu’on appellera plus tard “le Baptiste”, pour la première fois désigne l’Agneau de Dieu…

Et la foi contagieuse de Marie, alimente celle d’Elisabeth. « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur » s’exclame-t-elle, complétement dépassée par ce qui arrive !

Voilà une très belle illustration du fait que dans la vie, ce n’est pas toujours l’apparent, ce qui saute aux yeux, le clinquant qui fait signe…  Il est peut-être intéressant de se le rappeler en ces temps où la féerie de Noël est plus souvent électroluminescente qu’humble et cachée comme le fut la naissance du Prince de la Paix, il y a deux mille ans dans une étable…

Il y a une grande fraîcheur et une grande simplicité dans le récit de la Visitation.

On y voit l’Esprit “en action”… Poussant Marie, je dirais même poussant “en Marie”, après qu’il ait déposé en elle le germe du Sauveur. Il la met en route vers sa cousine et, déjà, le Royaume est en marche !

Je voudrais retenir aujourd’hui, trois aspects de l’attitude de Marie, totalement habitée par la confiance en Dieu… Totalement remplie de foi :

1/ Le service empressé de sa vieille cousine.

Notons que Marie, “pleine de grâce” pour reprendre l’expression de l’Ange, s’en remet totalement à la parole pourtant fort étonnante de Gabriel : « Voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile.» (Lc 1,36)

À l’époque il n’y a pas de portable ni même de téléphone tout court pour vérifier l’info ou l’intox ! C’est dans la Foi qu’elle se met en route (et quelle route ! près de 150 kms à faire à pieds). Peut-être est-elle poussée par la curiosité et le besoin de vérifier l’impensable qui se réalise, mais surtout par le désir de venir en aide à sa vieille cousine auprès de laquelle elle restera trois mois, jusqu’à l’accouchement… Pas une minute, Marie ne remet en question la Parole du Très-Haut. Elle se met en route !

2/ L’Humilité.

Marie ne l’oublions pas n’en est qu’au tout début de sa grossesse qu’elle seule connait. Peut-être ses parents qu’elle a pu mettre dans la confidence et peut-être déjà aussi son fiancé Joseph, on ne sait pas. Ce qui est sûr c’est qu’en s’effaçant totalement derrière Celui qu’elle porte encore très discrètement en elle, elle permet à  sa cousine, de comprendre ce qui se passe quand son propre enfant tressaille au-dedans d’elle-même ! Elisabeth s’écrie : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. » Marie n’est en rien obstacle à Celui qu’elle porte et qu’elle annonce. Elle est, pourrait-on dire, comme l’ostensoir du Seigneur.

2/ L’action de grâce.

Le Magnificat, cette prière que l’Église chante tous les soirs à l’office des vêpres, est la suite directe de l’extrait de Saint Luc que nous venons d’entendre : « Mon âme exalte le Seigneur… Il s’est penché sur l’humilité de sa servante, désormais tous les âges me diront bienheureuse ! » C’est en Dieu que Marie place son égoïsme…

Humilité, action de grâce, empressement à servir… Voilà le beau programme que Marie, mue par sa foi inébranlable en Dieu, déroule sous nos yeux. Elle nous propose en fait un chemin de vrai accomplissement personnel, celui qui passe par l’accomplissement de la volonté de Dieu…

Nous sommes à une époque où l’accomplissement personnel est devenu si important que l’on finit par en oublier l’autre et les autres après les avoir progressivement évacués de nos préoccupations, comme éléments encombrants et obstacles à notre propre réalisation individuelle…

Concurrence, compétition, recherche du bien-être, du profit, de la plénitude, sont les maîtres-mots. Cette plénitude que l’on croit acquérir en nous remplissant de nous-mêmes nous conduit évidemment et tout naturellement à éjecter l’Autre et les autres vers les périphéries…

Dans une telle compétition nous tombons très vite dans le : « c’est lui ou moi ! » et le choix est vite fait !…

Cela concerne tous les aspects et tous les âges de la vie, depuis l’enfant non désiré qu’on évacue ou qu’on exige à sa conjointe d’évacuer, le parent malade ou âgé qui devient encombrant et dont on estime ne plus pouvoir s’occuper, les cours de caté ou l’engagement associatif qu’on arrête parce que, « vous comprenez bien, mon enfant n’aura plus le temps de faire du sport, de la musique, de la danse et moi je dois trouver le temps de passer à la salle de gym et de faire de la rando ou de la relaxation. Dans ce monde où on court tout le temps il me faut bien trouver des moments pour moi non ? »

Je me rappelle ma vieille maman, elle qui avait élevé une famille de onze enfants et n’avait pas trouvé au milieu de toutes ses occupations le temps d’aller chercher la médaille de la famille nombreuse qui lui était pourtant proposée… Quelques jours avant sa mort elle s’inquiétait de son salut. Vous savez pourquoi ? Eh bien parce qu’elle avait peur d’avoir à payer dans l’autre monde le bonheur qu’elle avait eu à nous aimer sans compter et à nous conduire sur le chemin de la vie… !

Notre époque a rejeté toute idée de sacrifice.

J’entends parfois des propos dans le genre : « Nos grands-mères ont trop souffert et n’avaient pas de temps pour elles, nos grands-pères ont sué sang et eau toute leur vie pour un maigre pécule et bien souvent au prix de leur santé… Tout ça c’est fini, à d’autres les vies sacrifiées ! » Mais curieusement, on entend aussi, et parfois chez les mêmes personnes, l’expression d’une grande nostalgie… : « Autrefois on vivait ensemble, la convivialité était de mise… On avait peu, mais on partageait ! »

Je lisais récemment, les propos d’un évêque retraité qui, toute sa vie, a été proche des pauvres et des humbles de la terre. À propos de notre pays, il écrivait : « Je vois un pays riche qui se dit trop pauvre pour ouvrir sa porte à moins riche que lui. Voilà sans doute bien des années que Noël est devenu le lieu de cette mutation. On invite l’enfant à désirer tous les biens de la terre et il se croit tout-puissant jusqu’au moment où la limite de l’appétit ou de l’argent va faire de lui un frustré. On voulait en faire un riche comblé et il se retrouve un pauvre déçu. » Et notre vieil évêque de continuer : « Le Père Noël est devenu beaucoup trop riche et ne peut plus s’arrêter à l’étable où vient de naître l’Enfant-Dieu.»[1]

Nous ne sommes pas là, me direz-vous, pour faire un procès au père Noël, mais pour nous laisser interpeler par la parole de Dieu, celle qui prend chair de notre chair et qui demain soir poussera ses premiers cris de Fils d’Homme…

Apprenons de Marie, empressé de servir sa cousine et de lui porter la parole, à ne pas nous refermer sur nous-mêmes et, avec Jésus entrant dans le monde, à faire la volonté de Dieu sans rechercher la nôtre. « Tu n’as voulu ni sacrifices ni offrandes …/…, mais tu m’as donné un corps, alors j’ai dit “me voici je suis venu pour faire ta volonté”.»

N’ayons pas peur. Si du plus petit des clans de Juda s’est levé le Sauveur, il saura bien naître aussi aujourd’hui au sein de nos pauvres communautés. À une condition : Que nous apprenions à nous décentrer de nous-mêmes.

Les vrais ronds-points qui bloquent notre pays actuellement ne sont pas ceux qui sont occupés par les gilets jaunes mais ceux qui sont constitués de notre nombril et autour desquels nous passons beaucoup trop de temps !

Apprenons humblement à nous oublier, à nous décentrer de nous-mêmes parce que, comme le dit si bien le père Michel Lafon : « C’est toi, Dieu, que j’aime et c’est en toi qu’est établi mon égoïsme.»[2]

Oui Seigneur, aide-nous à dire avec le psalmiste : « jamais plus nous n’irons loin de toi : fais-nous vivre et invoquer ton nom.»

 

[1] Mgr Jacques Noyer, Journal La Croix, 132 décembre 2018.

[2] Michel Lafon, Prier 15 jours avec Charles de Foucauld, Nouvelle Cité, Paris, 1998, p. 25.