Homélie du 1er juillet 2018

« Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants…Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il a fait de lui une image de sa propre identité ».

Ces affirmations du livre de la Sagesse correspondent-elles à notre expérience commune ? Même en écartant tout de suite que Dieu puisse être un mauvais génie, une sorte de démon qui se réjouit de la mort des vivants ; il n’en reste pas moins que la mort est l’expérience la plus commune. Aussi variée et singulière que soit l’histoire de chacun, il n’en reste pas moins que tous nous mourrons. La vie des individus à pour horizon la mort et point barre. Au fond c’est la conviction la plus répandue chez nos contemporains et cette conviction s’appuie sur une expérience tout à la fois universelle et unique. Universelle car tous les vivants meurent et unique car, même si on peut avoir plusieurs vies, on n’en meure pas moins qu’une seule fois. Alors sans doute que Dieu est peiné de la mort des vivants (comme le laisse entendre le livre de la Sagesse) mais pour autant peut-il être disculpé de la mort qui accable les vivants ? Ce procès de Dieu est bien connu, tentation facile et peut-être même nécessaire à ceux qui font l’expérience inéluctable de la perte d’un proche, d’un aimé, de la souffrance et de la maladie… D’ailleurs le Christ lui-même sur la croix : « mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné » ; phrase qui n’en est pas vraiment une puisque cela n’est pas d’abord une question mais un cri, un cri de désespoir.

« Deus sive natura », Dieu ou la nature nous dit Spinoza ; mais si Dieu est la nature alors celle-ci ne semble pas s’intéresser aux individus mais seulement aux espèces, c’est-à-dire aux gènes dont sont porteurs les individus. Mais franchement que m’importe la survie de mes gènes et de plus, si l’histoire nous apprend que les civilisations sont mortelles, les sciences de la vie nous apprennent que les espèces aussi sont mortelles et parfois vouées a des extinctions massives comme nos chers dinosaures, ces vedettes des petits et grands écrans (et ici je ne fais surtout pas de pub pour un film récent que j’ai été contraint de voir et qui est un bien mauvais film).

Pourtant, à l’encontre de l’expérience tragique la plus commune et la plus universelle, la foi affirme que « Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité » et nous n’en continuons pas moins à mourir.

Peut être qu’ici la clef est la seconde affirmation, inséparable de la première, à savoir « il a fait de lui (c’est-à-dire de l’homme) une image de sa propre identité ». Image de sa propre identité dont le révélateur est, en christianisme, le Christ. Et selon la saisissante formule de Saint Paul, le Christ, « lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté ». Le Dieu immortelle, incorruptible, fait en Jésus l’expérience du tragique de l’histoire et de la vie, l’expérience de l’injustice, de la souffrance et de la mort. Déréliction de Jésus homme et Dieu, Dieu en l’homme, Dieu parmi les hommes, un de l’humanité.

Cette pauvreté de Dieu est un don d’une richesse inouïe (la Vie même) qui se reçoit par une proximité, une intimité que l’évangile d’aujourd’hui met pour nous en récit.

Une enfant morte tragiquement à 12 ans ; une femme désocialisée par une maladie la rendant littéralement intouchable car, par ces pertes de sang continuelles, elle est considérée comme impure.

D’abord cette femme, cette intouchable qui prend l’initiative de la proximité puisque c’est elle qui touche, qui agrippe timidement Jésus. Initiative d’un geste qui ressemble à un cri de désespoir et qui pourtant reçoit réponse : « ta foi t’a sauvé, va en paix ».
Puis cet enfant mort qui ne peut être que dans une absolue passivité et que vient rejoindre Jésus dans l’intimité de sa chambre devenue une tombe. Geste de tendresse du Christ qui lui prend la main et dont la Vie submerge sa mort.

Deux récits de la victoire, en Christ, de la Vie sur l’injustice, le désespoir et la mort. En Christ révélation de l’image de notre être, un pour la vie malgré la mort. Mais pour que cette révélation de notre image, de notre identité ait lieu, il faut l’intimité du révélateur. Toucher et se laisser toucher. Dieu nous ouvre un avenir si nous l’acceptons comme présent c’est-à-dire comme intime. A cette condition, et seulement à cette condition, l’histoire du monde… notre histoire, avant d’être tragique, est bien une histoire d’amour. Alors, en vérité, nous pouvons affirmer avec foi que l’amour à vaincu la mort.