Homélie du 19 juillet 2020

Textes :

 

Laisser les pousser ensemble !

Dans les paraboles agro-pastorales de Jésus, on constate souvent facilement que Jésus n’était ni agriculteur ni éleveur ! Je ne sais pas ce que les paysans de Tokombéré au Nord-Cameroun peuvent penser en entendant ce texte, eux qui, en cette saison des pluies, passent toute leur journée, une houe à la main, courbés en deux dans leurs champs pour faire la guerre aux mauvaises herbes… Si vous laisser pousser le mil et les mauvaises herbes ensemble, il n’y aura pas match… Ce sont les mauvaises herbes qui l’emporteront ! Le mil sera étouffé et alors ce sera la famine assurée pour l’année prochaine…

Mais l’Évangile n’est pas un traité d’agronomie… Ce qui intéresse Jésus, dans cet Évangile, c’est de nous parler du royaume au cœur du monde et de la place que nous sommes invités à y prendre …

Peut-être savez-vous que le saint Pape Paul VI, dans son testament spirituel disait que de tout l’Evangile, le texte que nous avons entendu aujourd’hui était pour lui le plus difficile à comprendre…

Personnellement quand Jésus nous dit : “Laissez-les pousser ensemble…”, c’est le mot “ensemble” qui retient mon attention plus que “laissez-les pousser“…

Une chose est claire, c’est que le problème de la moisson ne nous revient pas à nous, puisque ce n’est pas nous qui avons semé, que nous ne sommes pas les propriétaires du champ, ni les moissonneurs… Jésus l’explique clairement : La moisson revient au fils de l’homme et à ses anges. Alors ne nous préoccupons pas de ce qui ne nous revient pas… C’est une manie chez les hommes de toujours vouloir s’occuper de ce qui ne les regarde pas… On dirait que c’est plus intéressant de prétendre faire le travail des autres que de faire humblement le nôtre au quotidien… !

Notre problème à nous, les fils du royaume, c’est de prendre conscience de notre condition de grain semé par Dieu dans le champ du monde d’aujourd’hui… Etre du bon grain et nous maintenir comme tel au milieu de l’ivraie…

Le bon grain, nous dit Jésus, ce sont les fils du royaume. C’est quoi un fils du royaume ? Là aussi, Jésus est clair : c’est celui que le Fils de l’homme a semé dans son champ…

Alors je distingue deux types de fils du royaume :

  • Ceux qui sont en règle avec la loi et qui ont leurs pièces d’identité : le certificat de baptême ratifié par la confirmation et pourquoi pas par le mariage sacramentel, l’ordination ou la consécration religieuse…
  • Et puis il y a les “sans-papiers” : Ceux qui n’ont pas eu la chance de naître dans une famille chrétienne ou de rencontrer le Christ dans la vérité de ce qu’il est et n’ont donc ni reçu ni demandé le baptême… ou bien ceux qui ont été baptisés, les registres paroissiaux sont là pour en témoigner, mais leur éducation chrétienne a été plus ou moins bien suivie ou les aléas de la vie les ont peu à peu éloignés de la pratique sacramentelle… C’est bien dommage, mais cela ne les empêche pas d’être des justes et de se retrouver un jour parmi ceux qui s’entendront dire : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde… Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.” (Mt 25, 34.40)

Le champ du Fils de l’homme est curieux. On s’aperçoit en effet, dans la logique de l’Evangile d’aujourd’hui, qu’il y a des mutations transgéniques possibles au sein même du champ…

En effet, à la moisson il ne s’agit plus de trier l’ivraie du bon grain, mais, nous dit Jésus : De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu… le Fils de l’homme enverra ses anges et ils enlèveront de son royaume tous ceux qui font tomber les autres et ceux qui commettent le mal, et ils les jetteront dans la fournaise…!”  L’ivraie que les moissonneurs jetteront dans la fournaise n’est plus uniquement les fils que le démon a semés, mais ceux qui sont devenus ivraie en faisant tomber les autres et en commettant le mal.

Ce jour là, notre certificat de baptême ne nous servira plus à grand-chose, s’il n’est accompagné des œuvres de justice qui nous feront reconnaître comme de vrais fils du royaume… Combien de chrétiens seront confus de se reconnaître parmi ceux-là qui font tomber les autres et qui commettent le mal !

L’ivraie, quant à elle, dans le champ du Fils de l’homme, peut se transformer en bon grain par passage de la filiation du démon à la filiation de Dieu. “Par adoption” pourrait-on dire pour reprendre une expression chère à St Paul et avec l’aide de l’Esprit qui vient au secours de notre faiblesse comme le disait le passage de la lettre aux Romains que nous avons entendu ce matin.

Peut-être ne savaient-ils « pas prier comme il faut », mais Dieu entend les gémissements de leur cœur et les conduit… Saint Paul demandera, quelques versets plus loin, « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31)

Combien de personnes que nous aurions facilement tendance à classer dans l’ivraie et que nous aimerions arracher du champ du fils de l’homme (en nous prenant encore une fois pour les propriétaires du champ) se retrouveront-ils  resplendissants comme le soleil dans le royaume de leur Père… Peut-être cela ne fera-t-il qu’ajouter aux grincements de dents de quelques bien-pensants qui font tomber les autres et qui commettent le mal !

Rappelons-nous les paroles de Jésus aux grands-prêtres qui cherchaient à le piéger : « Les collecteurs d’impôt et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu » (Mt 21, 31)

Alors, nous qui voulons vivre en chrétiens… Laissons-nous pénétrer de la belle espérance exprimée par le livre de la Sagesse que nous avons entendu tout à l’heure : “A ceux qui ont péché tu accordes la conversion.” Dieu, bien que « disposant de la force, juge avec indulgence et gouverne avec beaucoup de ménagement. » C’est de cette espérance dont nous sommes les témoins pour le monde, aujourd’hui…

Arrêtons de nous battre les flancs en pleurant devant la diminution impressionnante du nombre des participants à nos assemblées dominicales… Reprenons conscience, comme le disait l’Evangile d’aujourd’hui, que le royaume de Dieu est comparable à du levain enfoui dans la farine. Surtout, ne nous replions pas sur nous-mêmes… Le levain dans son sachet n’a aucun intérêt…

Faisons de nos assemblées l’occasion de nourrir notre foi, prenons le temps de la prière personnelle, familiale ou communautaire et, forts de notre foi, n’hésitons pas à plonger en pleine pâte humaine.

Laissons le Christ nous semer au cœur du monde et n’ayons pas peur de témoigner qu’il est le fils aîné d’une multitude de frères… Poussons et grandissons ensemble, avec les hommes et les femmes de  notre temps et apprenons du Christ à reconnaître l’œuvre de l’Esprit dans ceux que nous aurions trop vite tendance à classer comme de l’ivraie…

Et vous amis, présents avec nous ce soir / matin pour faire mémoire de vos défunts partis pendant la période de confinement, que l’espérance de les revoir un jour fortifie votre confiance en Dieu qui est plus grand que notre cœur. Qu’elle soit l’occasion pour vous, de vous laisser rejoindre par l’amour de Dieu qui vient au secours de notre faiblesse.

Pour finir, laissons raisonner en nous les paroles du psaume que nous avons entendues tout à l’heure : « Toi qui est bon et qui pardonne, plein d’amour pour tous ceux qui t’appelle, écoute ma prière, Seigneur, entends ma voix qui te supplie. »