Homélie du 18 août 2019

Textes :

Le Pape François, exprime souvent l’idée d’une « troisième guerre mondiale par morceaux ».

Nous savons bien que le terrorisme islamique qui sévit partout à travers le monde est l’un des facteurs important de ce “conflit universel morcelé”… Il est vrai d’ailleurs que certains fanatiques  s’autorisent à crier « Allahou Akhbar » avant de commettre leurs forfaits et qu’ils recommencent à chaque victoire remportée.

Ici ou là, dans les rangs des chrétiens, on commence à trouver des partisans du biblique, il faut bien le dire, « œil pour œil dent pour dent »

Qui n’a jamais entendu : « Les musulmans ils sont comme ça, ils ont la violence dans le sang… Elle est d’ailleurs inscrite dans le Coran… » ? Peu à peu nous nous approchons dangereusement du « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »[1]

Alors, restons très vigilants, parce que la vraie victoire des terroristes islamiques serait de réussir à nous embarquer dans la spirale mortifère et diabolique de la violence commise au nom de Dieu.

Et pourtant, le Christ, dans l’Évangile d’aujourd’hui, semble apporter de l’eau au moulin de ces belliqueux de tous bords qui sentent monter en eux une vocation de néo-croisés… : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » ou bien « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »

La “division” à laquelle Jésus fait référence et à laquelle nous sommes confrontés est celle qui se passe depuis que l’homme est homme. C’est d’abord une division entre lui et lui-même ! Entre :

  • ce qu’il est : une image de Dieu appelée à la ressemblance…
  • et ce qui, au creux de l’oreille de son cœur, le pousse à la rébellion et au refus…

Ne nous trompons pas de combat. Celui auquel le Christ nous appelle, nous chrétiens, n’est pas de prendre les armes contre qui que ce soit, mais bien celui de dénoncer, par le témoignage de notre vie, l’œuvre du diable qui pousse les hommes à s’entredéchirer, ruinant ainsi le projet de Dieu qui est « de rassembler ses enfants dispersés » (Jn 11, 52)

Les prophètes de l’Ancien Testament déjà ont souffert pour la vérité. Rappelez-vous les termes de la première lecture à propos du prophète Jérémie : « Que cet homme soit mis à mort : en parlant comme il le fait, il démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville, et toute la population. Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il cherche, mais son malheur. » Voilà le sort réservé au prophète qui ne crie pas avec les loups et ne se contente pas de dire uniquement ce que l’on est prêt à entendre… Le prophète n’a rien à voir avec le politiquement correct et il est amené parfois à déranger, même ses amis les plus proches, même les frères de sa propre famille !… Habité par une parole il ne peut faire autrement que de la dire quel que soit le prix à payer…

Le Christ lui-même, Parole et Vérité du Très Haut, a donné sa vie pour cela ! Alors oui, nous pouvons effectivement parler de combat et de violence ! La vie du Christ est traversée de part en part par cette violence : Quelques jours après la naissance du Christ qui, notons-le en passant, provoque le massacre des Saints Innocents à Jérusalem, Siméon accueille Marie et Joseph, venus présenter Jésus au Temple, déclare : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre.» (Luc 2, 34-35)

Ce combat que Jésus semble impatient de mener dans l’évangile d’aujourd’hui, se termine sur une défaite apparente, celle de la Croix au Golgotha !

Le combat de Jésus est d’une extrême violence mais, cette violence il la prend sur lui au lieu de la déverser sur les autres…

Il ne s’agit pas d’une simple joute oratoire comme on en voit tant circuler sur les réseaux sociaux ni même d’un jeu vidéo. C’est très facile de s’agonir mutuellement de paroles ou d’anéantir son ennemi virtuel sur le Net quitte à s’exciter, en restant bien au chaud, devant l’écran de son ordinateur…

Son combat, Jésus le mène à mains nues et en tenue de service, par le témoignage rendu à la Vérité. Ce combat ne s’arrête pas au premier sang, comme dans les duels à l’ancienne, mais il va jusqu’au bout du sang versé. Et il invite ceux qui veulent marcher avec lui à boire la coupe jusqu’au fond avec lui… (cf. Mt 20,23)

Toute la différence avec la violence distillée au quotidien dans les journaux et autres moyens de communication réside dans le fait qu’il ne s’agit pas de verser ou d’inviter à verser le sang d’autrui, mais d’être prêt à verser notre propre sang pour défendre les valeurs auxquelles nous croyons… Et ce, pour que le monde ait la vie…

On parle facilement de “valeurs à défendre”, mais quand il s’agit de les définir ces valeurs c’est parfois plus difficile, rappelait un jour le cardinal Vingt-Trois… Pour quelles valeurs sommes-nous prêts à donner notre vie ?

« Peut-être, finalement, nos agresseurs nous rendent-ils attentifs à identifier l’objet de notre résistance ? » affirmait-il dans son homélie à Notre Dame de Paris, le 27 juillet 2016, quelques jours après l’assassinat du P. Jacques Hamel.

Pour nous, chrétiens, notre seule vraie raison de résister (ou de “consister” pourrait-on dire avec Fabrice Hadjadj) c’est l’amour. Jésus nous confie l’amour comme une feuille de route à mettre en œuvre…jusqu’au sang !

Bénéficiaires privilégiés de son amour, nous sommes envoyés pour en témoigner par la mise en œuvre et l’accomplissement de l’amour du prochain sans restriction, jusqu’à l’amour des ennemis… Jésus nous le dit bien : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. » (Lc 6,32).  Il ajoute : « Aimez-vous comme je vous ai aimés » (Jn 13,34). Or, il nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour les pécheurs que nous sommes (cf. Rom 5)… Même un enfant peut comprendre cela !

Ne nous étonnons pas si, dans le monde déboussolé dans lequel nous vivons il va peut-être nous être demandé de savoir nous aussi verser notre sang… Et ne nous laissons pas pour autant entraîner dans la spirale de violence qui fait le jeu du diable… Apprenons déjà à le verser goutte à goutte au quotidien.

L’auteur de la lettre aux Hébreux nous l’a bien dit ce matin : « Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché. »

Oui, nous sommes bien dans un temps de martyre !

Alors : « Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu. »

Notre arme la plus importante, c’est la prière. Elle consiste à crier vers Dieu.  Devant les sombres nuages qui s’accumulent sur notre pauvre Église nous avons le droit et même le devoir de crier. « Ce n’est pas manquer à la foi que de crier vers Dieu. C’est, au contraire, continuer de lui parler et de l’invoquer au moment même où les événements semblent remettre en cause sa puissance et son amour. C’est continuer d’affirmer notre foi en Lui, notre confiance dans le visage d’amour et de miséricorde qu’il a manifesté en son Fils Jésus-Christ.» [2]

Dans la longue tradition biblique crions vers Dieu avec les mots du psalmiste ce matin :

D’un grand espoir, j’espérais le Seigneur : il s’est penché vers moi pour entendre mon cri.

Il m’a tiré de l’horreur du gouffre, de la vase et de la boue ; il m’a fait reprendre pied sur le roc, il a raffermi mes pas.

Dans ma bouche il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu.

 

[1] Le 22 juillet 1209, au cours de la croisade contre les Cathares, lors de la prise de Béziers, lorsque la décision fut prise de tuer tous les hérétiques, le baron de Monfort exprimant au légat du Pape Innocent III, la difficulté de différencier les hérétiques des “bons catholiques” se serait vu répondre : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »

[2] Mgr Vingt-Trois, Homélie à Notre Dame, 27/07/2016.