Homélie du 15 juillet 2018

Textes :
Am 7,12-15
Ps 84
Ep 1,3-14
Mc 6,7-13

La vocation du prophète Amos n’est pas celle d’un professionnel, il n’a pas fait le choix d’un métier en vue de gagner sa vie. Sans doute qu’à son époque il y avait une sorte d’« institution » qui regroupait des prophètes de métier, bien souvent prophètes de pères en fils . Institution qui, ici, semble être en concurrence avec celle des prêtres qui exercent leur métier de père en fils dans des temples directement liés au pouvoir. Deux figures institutionnelles et sociales de l’ancien Israël en plein conflit. Mais le prophète Amos n’a pas de revendication autre que celle de son appel, d’un charisme qui vient directement de Dieu …s’il a été saisi par Dieu, alors qu’il était au cul des vaches (d’ailleurs plus probablement des ovins que des bovins), ce n’est pas en vue d’une amélioration de ses conditions de vie, ici pas d’ascenseur social…mais un pour le peuple, un « pour mon peuple », un service à temps et à contre temps et visiblement cela ne passe pas, cet homme dérange. Il est dangereux. Sa dangerosité tient sans doute à sa liberté qui est à l’image d’un Dieu qui vient saisir un pauvre berger et soigneur de sycomore alors qu’il y a des prophètes et des prêtres professionnels qui exercent leur métier de père en fils en bons artisans qu’ils sont. Dieu saisi et fait frissonner les trop chaudement endormi. La lave devenue froide est comme le sel devenu fade…

 

Dans l’Évangile voici que Jésus appelle les Douze et les envois en mission, quelle mission ? Chasser le mal sous toutes ses formes et rendre à chacun la pleine santé du corps, du cœur et de l’âme. Voici qui semble ne pas devoir faire controverse, voilà des gens bien aimable d’exercer ainsi gratuitement…Et pourtant. Et pourtant ce geste de « secouer la poussière de vos pieds » qui semble signifier, d’une manière dramatique, une réalité conflictuelle : un divorce qui donne naissance à un « eux » et à un « nous », un signe qui affirme que nous sommes devenus des étrangers les uns pour les autres.

Dans l’Évangile du jour il ne faut pas comprendre que Jésus envoie ses disciples faire du « porte à porte » en Judée ou en Galilée. Non.  Dans l’antiquité il y avait des réseaux, de véritables institutions de l’hospitalité et une culture de l’hôte aux règles strictes. Réseaux de solidarité mais aussi de reconnaissance mutuelle. Soit des enjeux d’entraide commerciale et associative mais aussi des enjeux d’identité. Il s’agit d’identifier des groupes, des « eux » et des « nous ». Alors les disciples de Jésus seraient-ils des fauteurs de troubles qui viennent créer de nouveaux conflits dans un monde déjà au bord de l’explosion ?

 

Ici il faut être attentif au sens donner au geste « de secouer la poussière de ses pieds » ; il s’agit non pas de créer un « nous » (le camp du bien) par une opposition factice à un « eux » (le camp du mal) mais bien de donner « un témoignage » (« ce sera pour eux un témoignage »). Le témoignage vient solliciter l’intelligence du cœur, du corps et de l’âme de l’autre…un témoignage est toujours, au cœur même du refus et du conflit, un dialogue toujours offert à l’adversaire.  Les douze sont des hommes de paix dans un monde de violence. Ici leur envoie en mission est à l’image d’un Dieu qui se propose mais ne s’impose pas. Pas un Dieu naïf, la violence et le refus de l’adversaire sont des réalités dont il faut tenir compte. Mais le combat, le nécessaire combat est celui du témoignage qui ne vise pas à l’anéantissement de l’autre mais à sa conversion. Image d’un Dieu fort mais sans aucune compromission avec la violence humaine.

Liberté et force non violente du Dieu de Jésus Christ qui nous appelle tous , du derrière du cul des vaches (quelques soient les vaches en question !), à témoigner.

A témoigner non pas seul mais deux par deux. Seul nous serions de bien indignes témoins, jamais à la hauteur du Dieu transcendant mais à deux, déjà, il y a une communauté ou l’Esprit est présent puisque « là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Le témoignage est toujours personnel mais jamais individuel, charismatique car voulu par l’Esprit et toujours relié à celui qui se tient au milieu de nous. C’est le témoignage qui fait et fonde l’Église.

Ce témoignage donné deux par deux n’est pas sans rappeler le mariage. Écoutons une description du mariage chrétien par un écrivain et théologien berbère de la fin du second siècle. « Quel couple que celui de deux chrétiens, unis par une seule espérance, un seul désir…le même service ! Tous deux frères, tous deux serviteurs l’un avec l’autre ; rien ne les sépare, ni dans l’esprit ni dans la chair ; au contraire, ils sont vraiment deux en une seule chair. Là où la chair est une, un est aussi l’esprit…ils sont l’un et l’autre à égalité…Entre l’un et l’autre aucun secret, aucun faux-fuyant, aucun motif de peine. C’est en toute liberté que l’on visite les malades, les prisonniers et les indigents…le Christ se réjouit à cette vue et à ce concert. Il leur envoie sa paix. Là ou deux sont réunis, il est présent lui aussi » (Tertullien, « A son épouse »).

Que ce beau programme de vie, que ce soit seul ou en famille (mais toujours en Église !), soit notre.