Homélie du 1 septembre 2019

Textes :

Frères et sœurs, en cette veille de rentrée scolaire et de reprises en tout genre, voilà que Jésus se fait enseignant !

À travers l’Évangile, mais aussi à travers les autres textes que nous venons d’entendre, Jésus Parole éternelle du Père, évoque une attitude fondamentale pour qui veut donner du sens à sa vie de chrétien.

Il n’est donc pas mauvais au seuil de cette nouvelle année, de tendre l’oreille et de nous mettre à l’écoute !

Écouter n’est plus très à la mode  de nos jours… Avons-nous le temps d’écouter dans un monde qui court à toute vitesse sans trop savoir après quoi il court d’ailleurs… Moins on sait après quoi on court, plus on court vite, comme pour s’abrutir…

Le slogan à la mode c’est « qui n’avance pas recule »… Mais en fait c’est idiot ! Il faut savoir parfois s’arrêter et prendre le temps pour faire le point. C’est à ça entre autre que servent les vacances !

Ben Sira dans la 1ère lecture nous disait : « L’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute »

En langue Mada[1] écouter se dit « nakelsime » ce qui pourrait se traduire littéralement par « poser son oreille sur »… On retrouve ici l’attitude de saint Jean au cours du dernier repas… Jean repose ni plus ni moins sur le cœur doux et humble[2] de Jésus qui devient source première de son inspiration…

Pour être honnête nous devons reconnaître qu’il nous arrive souvent d’écouter d’une oreille distraite, certains de connaître déjà la réponse ou de savoir déjà ce que l’autre cherche à nous dire… Ce qui soit dit en passant est très désagréable pour lui !

Nous n’écoutons pas vraiment… Nous faisons semblant d’écouter…

C’est vrai avec notre entourage, mais c’est vrai aussi avec Dieu… « Que ta volonté soit faite… », disons-nous à chaque fois que nous récitons le Notre Père… Tu parles ! À condition qu’elle corresponde à la mienne. Je n’ai pas le temps de me remettre en question…

On écoute réellement que lorsque l’on a réellement besoin de ce que l’autre dit… L’écoute feinte est une attitude méprisable et condescendante que nous pratiquons pourtant bien souvent !

Pour écouter je dois accepter d’être édifié, construit par la parole que je reçois… Cela exige de savoir reconnaître mes lacunes, mes manques, mes fragilités, en un mot ma pauvreté.

Le prologue de la Règle de Saint Benoît, qui s’adresse à tous ceux qui, renonçant à leurs volontés propres veulent vivre en vérité leur vocation baptismale, commence par ces mots : « Écoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l’oreille de ton cœur

Une oreille attentive est révélatrice d’une vraie humilité, cette humilité que Jésus nous enseigne aujourd’hui comme fondation sans laquelle notre vie est posée sur le sable et risque à tout moment de s’écrouler… (Cf. Mt 7, 26)

Sans humilité notre vie se délite et se disperse… Le curé d’Ars disait : l’humilité est aux vertus ce que la chaîne est aux chapelets… : enlevez la chaîne, et tous les grains s’échappent ; ôtez l’humilité, et toutes les vertus disparaissent. » [3]

Jésus fait de l’humilité le porche royal du Royaume des Cieux dès ici-bas… (cf. Mt 5, 3) Et l’apôtre Pierre déclare dans sa 1ère lettre : « Prenez l’humilité comme tenue de service les uns à l’égard des autres, En effet, Dieu s’oppose aux orgueilleux, aux humbles il accorde sa grâce.» (1 P 5, 5)

L’humilité est une notion bien démodée et pourtant fondamentale pour vivre en vrai chrétien ! À une époque qui magnifie la force, la santé, la beauté et qui voudrait repousser les limites de la vie par ce qu’on appelle « la réalité augmentée » ou le transhumanisme… Que vient faire l’humilité, dont on sait que l’origine vient du latin “humus” qui désigne la terre, la glèbe dont nous sommes sortis ?  Tous les efforts de nos contemporains semblent orientés à nous extirper de notre condition « terreuse » pour entrer dans une réalité de plus en plus virtuelle et débranchée du contact avec le réel… Exit la maladie, la mort et les épreuves, bonjour l’immortalité ! Enfin débarrassé de ses contingences, par la technologie, l’homme serait à deux doigts du bonheur sans limite…

La tentation n’est pas nouvelle !… Elle est aussi vieille que le monde !… Les élucubrations de nos scientifiques, politiques, ou idéologues à la mode n’ont rien de neuf, même si elles prennent parfois des allures plus modernes et plus impressionnantes que la construction de l’antique tour de Babel ! Les anciens qui ont écrit la Bible ne s’y sont pas trompés : La tentation susurrée dans l’oreille de la femme en vue de la faire partager à son imbécile de mari, au matin du monde, est bien là : « Vous serez comme des dieux ! »

Et voilà que Ben Sirac, le Sage, nous ramène ce matin à la réalité : « La Condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui ! » Le refrain du psaume, nous l’avons dit, lui fait écho de façon plus poétique et moins brutale : « Béni soit le Seigneur : il élève les humbles ».

Dans la parabole des premières places que nous avons entendue ce jour, Jésus propose à ses amis Pharisiens, dont il connait le réel souci de perfection : « Ne va pas t’installer à la première place… » Il reprend à son compte l’enseignement des livres de Sagesse de ses ancêtres. Le livre des proverbes déclare par exemple : Ne fais pas l’arrogant devant le roi et ne te tiens pas dans l’entourage des grands. Car mieux vaut qu’on te dise : Monte ici ! que de te voir humilié devant un notable. » (Pr 25,6-7)

Ben Sira dit un peu la même chose : « Quand un puissant t’invite, reste à l’écart et son invitation n’en sera que plus pressante.» Et il ajoute sa pointe d’ironie habituelle : « Ne te précipite pas, de peur d’être repoussé, ne te tiens pas trop loin, de peur d’être oublié.» (Si 13,9-10)

Il y a des petits malins qui se mettent à la dernière place mais en toussant très fort pour que le maître de cérémonie les repère bien et les appelle à monter plus haut… C’est calculé comme ceux qui arrivent en retard à la messe (ou à la réunion de parents d’élèves) et remontent toute l’allée pour qu’on ait bien le temps de voir leur nouveau costume ou leur nouveau chapeau !

Si nous voulons nous mettre à l’école de Jésus sans hypocrisie, notre souci sera de prendre effectivement la “dernière place”, la sienne, c’est-à-dire celle du serviteur et de celui qui donne sa vie pour ses amis… Un bon serviteur disparaît dans le décor, même quand il est à côté du patron…

Avec l’apôtre Jacques apprenons la soumission qui n’a rien d’humiliant quand elle est vécue dans l’humilité… « Soumettez-vous donc à Dieu, et résistez au diable : il s’enfuira loin de vous. Approchez-vous de Dieu, et lui s’approchera de vous… Abaissez-vous devant le Seigneur, et il vous élèvera. » (Jc 4, 7-8a.10)

Chantons  avec Marie en son Magnificat : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. » (Lc 1, 52-53)

Simplicité, gratuité, écoute, accueil, ouverture, disponibilité, autant d’attitudes qui nous permettront, là où nous sommes, d’atteindre les sommets sur lesquels Dieu nous appelle et nous attend.

[1] Une des ethnies qui composent la population de Tokombéré au Nord-Cameroun.

[2] Cf. Mt 11,29.

[3] Fr. Trochu, Le Curé d’Ars Saint Jean-Maris-Baptiste Vianney (1786-1859), Lyon-Paris, Emmanuel Vitte, 1929, p. 537.