Homélie du 03 janvier 2021 (Grégoire)

Textes :
Is 60, 1-6
Psaume 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13
Ep 3, 2-3a.5-6
Mt 2, 1-12

Frères et Sœurs, chers amis, au-delà des chameaux, des présents auxquels il conviendrait paraît-il d’ajouter la galette et la fève, finalement c’est quoi l’Épiphanie et quel est son message ? Pour répondre à cette question, il suffit d’écouter les textes que la liturgie de l’Église vient de nous proposer.

A Noël, nous célébrons la naissance de Dieu en son humanité ! « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.» (Jn 1,14)

L’Épiphanie, 10 jours après, c’est la manifestation au monde entier de cette formidable nouvelle !  Désormais, chose inouïe, en Jésus Dieu est visible à nos yeux et regarde sa création avec des yeux humains, comme nous le rappelait Antoine dans son homélie de Noël.

Cette réalité de Dieu qui s’incarne, est “Bonne Nouvelle bien sûr, mais elle est Bonne Nouvelle pour tous les peuples” et ne doit  ni ne peut en aucun cas être retenue par et pour un seul peuple fusse-t-il celui dans lequel Dieu a pris naissance.

Oui “toutes les nations sont associées au même héritage” affirme la lettre aux Éphésiens dans 2ème lecture. En Jésus tout homme quel qu’il soit apprend qu’il est héritier avec le Christ, appelé à vivre en fils de Dieu au milieu de ses frères.

C’est le sens profond de la fête de l’Épiphanie : Des faubourgs de Jérusalem, (pour ne pas dire de sa périphérie en plagiant notre bien-aimé Pape François!), rayonne une lumière nouvelle vers laquelle les Nations et les rois de la terre sont en marche… comme nous l’annonçait Isaïe dans la 1ère lecture.

Le Psaume 71 et l’Évangile, quant à eux, nous racontent que les rois « apportent des offrandes et se prosternent devant celui qui délivre le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours celui qui a souci du faible et du pauvre dont il sauve la vie… »

Les premiers à reconnaître l’incroyable nouvelle, sont des étrangers, représentants de peuples goy c’est-à-dire non-juif ! Saint Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople au 4ème siècle, écrit à propos des Mages : « Venant sur la terre pour faire cesser l’Ancienne Alliance, pour appeler tout le monde à la connaissance de son nom, et pour se faire adorer dans toute la terre, et au-delà des mers, Jésus-Christ ouvre d’abord aux Gentils la porte de la foi, et il instruit son propre peuple par des étrangers.»[1] C’est quand-même intéressant de le noter à notre époque où l’étranger fait peur à beaucoup d’entre nous…

Ils ont quand-même dû être étonnés les savants d’Orient ! Venus chercher un roi, ils se retrouvent devant un nouveau-né dont le nombril n’est pas encore tout à fait sec ! Un blanc bec pourrait-on dire, qui plus est issu d’une famille de pauvres qui ont dû se contenter d’offrir un couple de tourterelles pour sa présentation au Temple. (Cf. Lc 2,24)

Spontanément, ils étaient venus se renseigner au “Palais”, inconscients que leurs questions allaient provoquer l’affolement d’Hérode… Pris de panique, ce dernier convoque le conseil scientifique… et les théologiens (à l’époque on ne parlait pas de laïcité à la française !) pour essayer de reprendre la main sur une situation qu’il ne maîtrise pas du tout et qui lui semble mettre en péril son pouvoir… (Avouez qu’on n’aurait peut-être pas aimé être à sa place…)

Pendant qu’Hérode s’agite, munis des renseignements glanés à au palais, les Mages, dont l’objectif n’est pas le pouvoir mais la soumission, l’adoration et l’action de grâce, se remettent joyeusement en route à la vue de l’étoile… « Arrivés à l’endroit où se trouvait l’enfant », sans forcément comprendre et maîtriser tout ce qui se passe, ils se prosternent devant le petit-d’homme, fils de Dieu…

Hérode, lui, est incapable d’une telle démarche, même si son cynisme politique a voulu le faire croire aux Mages : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Tu parles !

Mais on sait que les manigances des puissants de ce monde, aussi terrifiantes et machiavéliques qu’elles puissent être, ne peuvent empêcher la Bonne Nouvelle de faire son chemin : « la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. » (Jn 1,5) nous dit saint Jean. Et les Mages, premiers témoins du Christ au milieu des Nations, retournent dans « leur pays par un autre chemin.»

Quand il comprend qu’il s’est fait avoir, Hérode, préoccupé de lui-même et non de la réalisation du projet divin, entre dans une transe incroyable. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 11) dira Saint Jean. Il ordonne le massacre ignoble de pauvres enfants qui n’avaient pourtant commis le crime que de naître au mauvais moment…

N’est-ce pas ce qui arrive souvent, de nos jours, devant l’arrivée imprévu d’un enfant ?… N’est-ce pas aussi ce qui nous arrive collectivement devant l’irruption de la pandémie qui a surpris tout le monde ?

Quodvultdeus, évêque de Carthage au 5ème siècle écrit à propos d’Hérode : « Tu assassines ces faibles corps parce que la peur assassine ton cœur. Et tu t’imagines, si tu réalises tes désirs, que tu pourras vivre longtemps…»[2] L’avènement d’un nouveau roi inquiète Hérode au point qu’il va tout faire pour supprimer l’intrus…

C’est une fâcheuse habitude chez l’être humain, quand il panique, de chercher à se débarrasser du problème plutôt que de se laisser remettre en question… La peur n’est décidemment pas bonne conseillère.

Et nous alors ? Héritiers des peuples païens de la Gaule primitive, que faisons-nous ou qu’allons-nous faire de cette Bonne Nouvelle ? L’Épiphanie nous fait comprendre que, nous aussi, Dieu nous appelle ses fils et ses filles en Jésus.

À notre tour, nous sommes missionnaires de cette Bonne Nouvelle au milieu d’un monde sans Dieu qui tourne en rond sur lui-même et ne sait plus à quel saint se vouer. Notre époque sous bien des aspects, et malgré sa prétention à être l’héritière des lumières, mériterait parfois la description de la première lecture : “Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuit obscure couvre les peuples.”

Alors, si nous aussi nous avons vu l’étoile se lever, “réjouissons-nous à sa lumière” et apprenons à nous prosterner devant les plus petits de nos frères en lesquels l’image de Dieu resplendit et attend notre reconnaissance.

Par le service et la contemplation, entrons dans la joie de Noël et ouvrons le chemin de Jésus à nos contemporains.

Homme au milieu des hommes, Jésus vient assumer notre humanité et lui ouvrir le chemin vers le Père. Sachons le reconnaître à l’œuvre en tous ceux qui, au quotidien et parfois sans en avoir forcément conscience, témoignent dans la vie ordinaire que tout homme, toute femme, est autorisé, invité, appelé à vivre en fils ou fille de Dieu et à être reconnu comme tel !

Dans l’enfant la crèche, Dieu se confie à nous. St Bernard de Clairvaux écrivait dans une homélie pour l’Épiphanie au 12ème siècle : « Voici que la paix n’est plus promise mais envoyée, non plus remise à plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais proposée. » Et il ajoute cette image étonnante : « C’est comme un couffin plein de sa miséricorde que Dieu le Père a envoyé sur la terre ; oui, dis-je, un couffin que la Passion devra déchirer pour laisser se répandre ce qu’il contient : notre paix ; un couffin, peut-être petit, mais rempli. Un petit enfant nous a été donné, mais en lui habite toute la plénitude de la divinité.»

 

[1] Saint Jean Chrysostome, Homélie VI sur Matthieu.

[2] Quodvultdeus, Disc. 2 sur le Symbole, PL 40, 655.