Textes :
Frères et sœurs,
En ce jour que notre communauté chrétienne a retenu pour faire mémoire des défunts de vos familles, que nous avons accompagné de notre prière au cours de l’année, il se trouve, comme un clin d’œil, que les textes de la Parole de Dieu nous parlent beaucoup d’Espérance et de Foi. Ces deux vertus sur lesquelles repose notre foi en la vie éternelle.
L’extrait du prophète Jérémie et le psaume tout d’abord, qui évoquent et annoncent le retour d’exil du peuple déporté à Babylone… : « Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. » prophétise Jérémie… « Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes » lui répond, comme en écho, le psalmiste…
L’Évangile, quant à lui nous parle du fils de Timée, Bar-Timée, aveugle de naissance, qui met sa foi et place son espérance en Jésus en l’appelant malgré la foule qui veut le faire taire… Il insiste jusqu’à ce que Jésus entende son cri, du milieu de la foule, et le fasse appeler.
Alors, jetant son manteau qui doit être probablement le seul bien qu’il possède, il bondit et, du cœur de la nuit où sa cécité semble l’avoir plongé, il court vers Jésus, dans la foi…
Notons bien la réaction de Jésus :
Il prend le temps de lui demander : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
Cela paraît presque étrange, mais Jésus n’est pas de ceux-là qui, devant la souffrance des autres, savent toujours, avant tout le monde, ce qu’il faut faire. Ils réduisent l’autre à l’idée qu’ils s’en font… sans écouter vraiment ce que l’autre a à dire de lui-même…
Jésus, malgré la foule qui l’entoure et les nombreuses sollicitations qui l’assaillent, prend le temps de laisser l’autre exprimer sa souffrance et, pour être sûr de ne pas se tromper, il demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Belle leçon pour nos sociétés de l’immédiateté et du prêt à penser ! Perte de temps pensera-t-on au journal télévisé…
Jésus est attentif à la situation du fils de Timée qui est là, aujourd’hui, devant lui… Bartimée n’est plus un souffrant inconnu comme tous ceux dont nos journaux télévisés sont remplis… Il est proche désormais… Jésus lui ouvre le statut de “prochain” en se mettant à son écoute.
Quand l’aveugle exprime ce qu’il attend, Jésus le resitue dans sa démarche de foi, permettant par le fait même à cette démarche d’aboutir. « Aussitôt, l’homme retrouva la vue » nous dit l’Évangéliste.
…
En ces temps où l’on parle beaucoup des abus de pouvoir au sein de l’Église et du cléricalisme. Jésus, par son attitude avec Bartimée nous apprend ce que signifie le service du frère quand on a un pouvoir sur lui…
La dérive du cléricalisme concerne les prêtres vis-à-vis de leurs communautés et des fidèles dont ils ont reçu la charge pastorale, bien sûr.
Au lieu « d’intervenir en faveur des hommes dans leur relation avec Dieu » comme tout grand-prêtre digne de ce nom, nous rappelait la deuxième lecture, certains s’interposent et s’incrustent au cœur de cette relation entre Dieu et leurs ouailles, devenant alors obstacle et non chemin…
Par leur ordination les prêtres ont reçu le pouvoir d’agir “in persona Christi” c’est-à-dire comme lieu/tenant du Christ, tenant lieu du Christ ! Dans les sacrements, quand le prêtre agit, c’est le Christ lui-même qui agit… Il est clair que cela engendre un risque réel pour le prêtre de se prendre pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire le Christ lui-même !
Le prophète Isaïe avertissait déjà le roi Assour qui, fort de ses nombreuses victoires, se croyait tout-puissant : « Le ciseau, disait-il, se glorifie-t-il aux dépens de celui qui s’en sert pour tailler ? La scie va-t-elle s’enfler d’orgueil aux dépens de celui qui la tient ? » (Is 10,15)
Saint François de Sales, plagié ensuite par Jean de la Fontaine avec son âne chargé de reliques, nous invite à l’humilité. Je cite : “Ils ont beau être chargés des précieux meubles du Prince, les mulets n’en demeurent pas moins lourdauds, et n’en sentent pas moins mauvais !”[1]
Je fais référence ici au mauvais usage que certains prêtres font du pouvoir bien réel qu’ils ont reçu… Mais cela ne doit pas nous faire oublier que cette tentation est bien réelle aussi chez tous ceux d’entre vous (d’entre nous !) qui détiennent une parcelle de pouvoir vis-à-vis de leurs congénères…
C’est vrai d’un enseignant, d’un médecin, d’un juge, d’un gendarme, d’un élu, d’un contremaître, d’un papa vis-à-vis de ses enfants, d’un responsable d’association, que sais-je encore…
Si nous ne voulons pas nous tromper, regardons la manière de faire de Jésus… Après-tout, n’est-il pas le maître dont nous prétendons être les disciples ?
Après avoir écouté l’aveugle et permis à sa démarche de foi d’aboutir, il l’envoie : « Va ta foi t’a sauvé… » Au lieu de récupérer la situation en sa propre faveur comme le ferait tout bon démagogue et de profiter de l’ascendant qu’il a forcément acquis sur lui, il l’invite à aller de l’avant… Et c’est de son propre chef que Bartimée se met à suivre Jésus…
Saurons-nous, à l’école de Jésus, entendre le cri de nos frères au milieu de la foule ? Saurons-nous, avec Lui, leur accorder le statut de prochain ? Saurons-nous, de sa part, les inviter à la confiance et les conduire à eux-mêmes en les conduisant à Jésus… ?
L’erreur que nous commettons bien souvent en cherchant à faire des disciples, c’est de vouloir en faire nos disciples au lieu de les conduire à Jésus et de « Le laisser se débrouiller avec eux » comme disait un vieux prêtre camerounais mort en odeur de sainteté… Alors par des artifices plus ou moins habiles nous les conduisons à nous-mêmes (c’est la définition du mot sé/duction : conduire à soi-même) au lieu de les conduire à eux-mêmes… (c’est la définition du mot é/ducation).
Prions, frères et sœurs, les uns pour les autres, pour que nous apprenions du maître qui s’agenouille devant ses disciples pour leur laver les pieds, ce que veut dire annoncer l’Évangile.
Oui, avec Bartimée nous crions, du milieu de la foule : « Jésus, Fils de David prends-pitié
[1] Introduction à la vie dévote, n° 183.