Textes :
- 2 Ch 36, 14-16.19-23
- Psaume 136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6
- Ep 2, 4-10
- Jn 3, 14-21
« Dieu est riche en miséricorde » nous dit Saint Paul… La miséricorde, c’est le trop plein du cœur de Dieu qui jaillit sur le monde.
L’amour que Dieu a pour nous est la source de notre vie tout court (Nous le savons, notre vie est dans la main de Dieu) mais cet amour que Dieu a pour nous est aussi la raison, le motif de notre vie chrétienne et donc son moteur…
En effet, aimer, ce n’est pas obéir à un précepte. Si nous aimons pour obéir à la Loi nous sommes mal partis et notre amour n’atteindra jamais sa perfection ! Aimer, c’est laisser l’amour que Dieu a pour nous se transformer, en nous, en amour du prochain. C’est laisser cet amour rejaillir de notre cœur comme du trop-plein d’une cuve débordante…
Si nous aimons par obéissance nous risquons très vite de nous enfermer dans une morale rigide et tatillonne… Alors, nous remplirons notre vie d’incessants : “Il faut faire ceci, il faut faire cela… !”, “on ne doit pas faire ceci, on ne doit pas faire cela… !”… Il est bien rare que cela conduise au vrai bonheur.
Notre vie chrétienne n’est pas d’abord une épreuve de force ou un challenge qu’il nous faudrait tenir à bout de bras, voire “à bout de souffle” pour prouver quoi que ce soit !
Non, il s’agit, d’abord et avant tout de la réponse que nous donnons à un amour reçu, un amour qui vient de plus haut que nous et que nous n’avons en aucune façon mérité… : Il n’y a pas à en tirer d’orgueil… «C’est bien par grâce que vous êtes sauvés », nous dit Saint Paul, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes.
Il s’agit de nous laisser inonder de l’amour de Dieu qui pourra alors déborder en amour du prochain… Le travail de conversion que nous sommes invités à vivre en ce temps de Carême est, d’abord et avant tout, un chemin à entreprendre pour retrouver la source cachée et venir y puiser l’énergie dont nous avons besoin, nous y abreuver nous-mêmes en désaltérant nos propres soifs…
C’est alors que nous pourrons laisser Dieu travailler notre cœur et le rendre capable de rayonner de son amour pour les hommes…
Alors, où jaillit-elle cette source ? Comment en retrouver le chemin ?
C’est au plus profond de chacun d’entre nous qu’elle jaillit. Là où Dieu a inscrit son image. Dans cette “chambre intérieure, non construite de main d’homme“… Vous savez, cette chambre dont Jésus nous parlait au début du Carême : «Toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre intérieure, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret.» (Mt 6, 6)
Au jour de notre baptême nous avons comme “activé” cette source, mais elle s’est peu à peu ensablée par les soucis de la vie quotidienne. Le Carême nous est donné pour retrouver l’endroit de la source. Pour désensabler, désencombrer, le canal et laisser jaillir à nouveau la source d’eau vive qui pourra nous désaltérer nous et notre prochain avec nous…
Il existe un risque toutefois, dans ce travail de retour à la source… Celui de tomber dans l’introspection qui vire rapidement au nombrilisme ! En effet si la source est en moi, le risque est de me centrer sur moi-même pour la retrouver et de tomber dans l’auto-reférentialité morbide et le Toto (c’est le nom que je donne facilement au prince des ténèbres) aura vite fait de me replier sur moi-même en me faisant oublier mon prochain…
Alors Jésus donne à Nicodème un bon moyen, on pourrait presque dire “une recette de grand-mère” puisqu’il s’appuie sur un vieux “truc” donné par Moïse aux ancêtres qui était piqués par les serpents dans le désert…
Vous vous souvenez, Moïse avait placé un serpent en bronze en haut d’un mât et quand les gens étaient piqués par un serpent, ils regardaient le serpent de bronze et ils restaient en vie. (Nb 21, 8-9)
Eh bien, «de même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, dit Jésus à Nicodème, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.»
Ici, Jésus fait aussi référence au prophète Zacharie : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé […/…]
En ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem: elle les lavera de leur péché et de leur souillure.» (Za 12,10.13,1)
Cette source qui gît au plus profond de nous-mêmes, dont je vous parlais plus haut, c’est la même qui jaillit du cœur du Christ transpercé… De son côté ont coulé l’eau et le sang nous dit St Jean (Jn 19,34). La tradition spirituelle a toujours vu dans cette eau et ce sang, le symbole de l’eau du baptême et du sang de la vie éternelle que nous accueillons en chaque eucharistie…
…
Notre prière de Carême ne consiste pas à nous asseoir aux bords des fleuves de Babylone pour y pleurer notre exil ou notre vie passée, mais bien à lever les yeux vers celui que nous avons transpercé et de chanter le chant de la Jérusalem nouvelle qui naît de son côté ouvert.
Prenons le temps au cours de la semaine, de nous asseoir au pied de la croix et, pourquoi pas au pied du tabernacle, dans l’église, pour accueillir et recueillir l’amour de Dieu et lui redire tout simplement le nôtre en réponse : « Oui, Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ! »
Que la peur de notre indignité ou l’insouciance de nos vies superficielles ne nous fasse pas préférer les ténèbres à la lumière ! Venons à la source, « venons à la lumière pour qu’il soit manifeste que nos œuvres sont accomplies en union avec Dieu.»
Gardiens de la source d’eau vive comme je vous le disais la semaine dernière, réapprenons à nous abreuver nous-mêmes à la vraie source, au lieu de nous contenter des puits d’eaux mortes dont sont encombrés la plupart de nos vies.
Revenons à Dieu de tout notre cœur…
C’est à ce prix que notre démarche synodale vaudra la peine d’être vécue… S’il ne s’agit que d’énièmes rencontres d’organisation, il vaudrait mieux laisser le soin à des spécialistes plus compétents que nous. Non, il s’agit de désensabler la source dont Dieu se propose d’abreuver le monde et cette source est enfouie en chacun d’entre nous !
Si Dieu a su se servir de Cyrus, roi de Perse, un païen (!), pour conduire à la reconstruction du temple de Jérusalem, il saura bien se servir de nous pour bâtir son Eglise ! Le tout est de nous laisser conduire par l’Esprit.
Encore une fois, j’insiste sur l’importance du sacrement de réconciliation qui nous est proposé pour faire jaillir, du creux de notre péché, la source de la vie…
Laissons, pour finir, la parole à notre bien aimé Pape François : “Le pardon de nos péchés n’est pas quelque chose que nous pouvons nous donner à nous-mêmes. Je ne peux pas dire : je me pardonne mes péchés. Le pardon se demande, il se demande à quelqu’un d’autre et dans la Confession, nous demandons à Jésus son pardon. Le pardon n’est pas le fruit de nos efforts, mais c’est un cadeau, un don de l’Esprit-Saint, qui nous comble dans le bain régénérant de miséricorde et de grâce qui coule sans cesse du cœur grand-ouvert du Christ crucifié et ressuscité.” [1]
[1] Pape François, Audience générale du mercredi 19 février 2014, catéchèse sur le sacrement de la réconciliation.