Homélie du 30 mars 2019

Textes :

 

Scrutins Anaïs, Bruno et Emilie…

Frères et sœurs, aujourd’hui c’est le quatrième dimanche de Carême. L’Église a coutume de l’appeler le dimanche “Laetare” c’est-à-dire le dimanche de la Joie.

Pour l’occasion elle propose même au prêtre de porter des ornements de couleur rose… Ne souhaitant pas ressembler à un gros chamallow, je n’ai pas retenu cette option. Vous ne m’en voudrez pas je pense !

Blague à part, la joie dont il est question ici est une joie bien particulière… Ce n’est pas d’abord de joie humaine qu’il s’agit, comme pourrait nous y faire penser la première lecture qui parle, sans la nommer, de la joie du peuple d’Israël enfin arrivé en Terre promise et capable de manger les fruits de la Terre que Dieu lui a donné en partage… Finie la manne tombée du Ciel, bonjour le fruit de notre propre récolte ! Fierté de l’esclave devenu homme libre…

Non la joie dont il est question aujourd’hui est celle de Dieu lui-même.

En début de Carême nous avions évoqué les quatre “P” proposés par l’Église pour vivre un carême fructueux. Le “P” de la Prière, celui de la Pénitence, celui du Partage et celui du Pardon !

Il y a quinze jours c’est le “P” de la Prière qui avait retenu notre attention…

Aujourd’hui, c’est sur les deux “P” du Pardon et du Partage que je voudrais m’arrêter…

En effet les textes que nous avons entendus nous montrent Dieu qui partage sa joie d’accueillir le pécheur qui revient vers Lui, en faisant la fête, en tuant le veau gras et en faisant de nous les ambassadeurs de la réconciliation comme le dit Saint Paul…

Le personnage principal dans la parabole, communément mais indument appelée “de l’enfant prodigue”, que nous venons d’entendre n’est pas le jeune fils, ni même le fils aîné, mais bien le Père dont l’amour est révélé dans toute sa prodigalité…

N’oublions pas, Saint Luc nous le rappelait au début de l’évangile, que Jésus raconte cette “histoire” en réponse aux pharisiens et scribes bien-pensants qui « s’indignaient de le voir faire bon accueil aux pécheurs et manger avec eux.»

Si on y regarde de près les deux fils de la parabole, même si leurs caractères sont bien différents, ont un défaut commun, que l’on retrouve aussi en chacun d’entre nous, celui d’être centré sur eux-mêmes au point d’en oublier les autres…

Le plus jeune, totalement extraverti, cherche à se réaliser en s’éclatant littéralement dans une vie de désordre… Il dilapide son bien et ce n’est que quand il est au fond du trou qu’il pense à revenir chez son père. Quand il se met en route il n’a encore rien compris à son père. Ce qu’il cherche et attend de son père c’est un boulot pour assurer la gamelle… Il est loin d’imaginer ce qui va se passer.

Le fils aîné, beaucoup plus organisé et consciencieux semble-t-il n’a, lui non plus, rien compris à son père… Il fait ce qu’il pense être son devoir pour mériter l’affection de son père… Comme si l’amour était quelque chose qui se mérite ! « Un homme donnerait-il toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que mépris.» (Ct 8,7) dit pourtant le Cantique des cantiques.

L’obéissance, servile, de l’aîné est aussi stérile que la recherche de la satisfaction égoïste et immédiate du plus jeune… L’une conduit à l’aridité du cœur ; l’autre à la famine…  Mieux vaut-il la peste ou le choléra ?

Le fils aîné, exemplaire apparemment, comme pouvaient l’être les pharisiens et les scribes qui récriminaient contre Jésus, est enfermé dans la suffisance de son obéissance… C’est au point qu’il en devient incapable de reconnaitre son frère dans le plus jeune qui revient au bercail… Vous aurez sans doute remarqué que quand il s’adresse à son Père l’aîné ne dit pas : « quand “mon frère” que voilà est revenu…», mais : « quand “ton fils” que voilà est revenu…» Ce n’est pas anodin…

Si sa relation au père était vraiment filiale, elle le conduirait tout naturellement à reconnaître un frère dans l’autre fils de son père… et il saurait se réjouir de la joie du Père !

Le Père lui fait remarquer que celui qui est revenu n’est pas un étranger : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie… »

En l’invitant à reconnaître son frère dans celui qui « est revenu de la mort à la vie », le père ouvre au fils aîné le chemin de la conversion dont il a lui aussi besoin sans le savoir… : « Ma bonté envers ton frère ne t’enlève rien, car notre communion est parfaite, tout ce qui est à moi est à toi. Reconnais que je suis ton père et non ton maître, comme je suis le père de ton frère et non son juge.»[1]

Puisse le regard d’amour que Dieu pose sur chacun d’entre nous attendrir nos cœurs endurcis… Regardons un peu autour de nous, au sein même de notre assemblée

Peut-être y-a-t-il des gens qui nous ont blessé par des paroles, par leur attitude ou même simplement par leur manière d’être différente de la nôtre… Ils sont pourtant comme nous, fils et filles de Dieu…

Comme nous ils ont répondu à l’invitation au “festin” de l’eucharistie où ce n’est plus le veau gras  que l’on mange mais le Christ lui-même qui se fait nourriture pour chacun d’entre nous…

Alors comprenons que nous avons un effort à faire…

Que nous nous reconnaissions dans l’un ou l’autre des fils de la parabole, le Carême nous est donné pour revenir au Père qui nous invite au festin… « Revenez à moi de tout votre cœur… Revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour. » (Jl 2,12-13)

Nous n’avons qu’une chose à faire : “revenir” de là où nous nous sommes égarés. Que ce soit dans un pays lointain en dilapidant nos biens dans une vie de désordre ou dans les propres champs de notre Père en nous refermant sur nous-mêmes.

Revenons au Père comme on revient à la source, pour trouver et puiser en lui la raison et la force d’être frères.

C’est le sens du sacrement de la réconciliation. Il ne s’agit pas d’une négociation mais de la restauration d’une relation d’amour parfaitement gratuit qui coule de source.

Ne laissons pas nos soucis et nos réflexions nous enfermer :

  • Ni dans notre péché : « Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils !»
  • Ni dans notre autosatisfaction : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis !»

Laissons Dieu nous aimer sans condition… Laissons Dieu nous Partager son amour au-delà de nos refus, par-delà notre péché. C’est la définition même du mot Par/donner.

« Nous vous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. »

Nous n’avons qu’une chose à faire : Ouvrir notre cœur comme on ouvre son sac pour laisser Dieu le remplir de son amour sans limite.

Sans cela le Christ est mort pour rien lui qui est « venu rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés ! » (Jn 11,52)

Avec Emilie, Anaïs et Bruno, faisons de notre Carême  un retour au Père pour apprendre de lui à vivre en fils et donc en frères…

Comme Philippe au soir du Jeudi demandons à Jésus : « Montre nous le Père et cela nous suffit !» (Jn 14,8)

 

[1] Fr. Antoine-Marie, o.c.d.