Textes :
Mon cher Théophile,
À la suite de Saint Luc, j’ai envie ce matin de m’adresser à chacun d’entre vous en ces termes.
En effet, “Théophile” signifie “aimé de Dieu”. En adressant son Évangile à Théophile c’est à chacun d’entre nous que Luc l’adresse.
Il le fait en deux étapes.
Dans son Évangile d’abord qui, comme le dit Luc lui-même, parle de « tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel » et ensuite le récit que la tradition chrétienne a retenu sous le nom d’Actes des Apôtres.
Les Actes des Apôtres sont aussi le récit de ce que Jésus a fait mais, cette fois-ci, à travers les membres de son corps que sont les baptisés !
Le moment de l’Ascension est comme une “charnière” (un “joint de cardan” dirait les férus de mécanique) de l’histoire spirituelle de l’humanité. Après avoir partagé pendant une trentaine d’année notre condition humaine et formé ses disciples Jésus, le Christ, transmet à ses disciples la mission qui est la sienne.
On pourrait voir dans la transmission qui se vit au jour de l’Ascension une sorte de “passage de témoin”. Comme dans une course de relais où le coureur transmet le témoin à son coéquipier.
L’image du passage de témoin n’est toutefois pas tout à fait juste, parce que dans la course de relais le coureur qui a transmis le témoin s’arrête de courir.
C’est un peu comme l’officier de marine qui en passant le relais à l’équipe montante déclare : “A vous le soin,” avant de prendre son tour de repos.
Dans le cas qui nous intéresse, Jésus ne s’arrête pas de courir, mais c’est désormais en chacun d’entre nous qu’il se propose de courir désormais… Ou, pour être plus juste il propose à chacun d’entre nous de courir “en Lui”… « Par Lui, avec Lui et en Lui »…
Le Christ jusqu’alors présent lui-même physiquement au milieu de nous, semble s’effacer ou se mettre en retrait au profit de ceux qui reconnaissent en lui le Messie, qui adhèrent à sa parole en accueillant le don de l’Esprit-Saint et qui choisissent de naître à la Vie Nouvelle par le baptême…
C’est à nous qu’il revient d’assumer la responsabilité d’annoncer la Bonne Nouvelle que le Christ ne cesse d’annoncer aux hommes…
Le Christ en entrant « dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu » comme nous rappelle la Lettre aux Hébreux lue ce matin, nous entraîne dans son sillage et continue, en chacun d’entre nous sa course vers le Père… jusqu’à ce qu’il ait tout “récapitulé” en Lui.
Ce terme de récapitulation, tiré de St Paul et repris dès les premiers siècles de l’histoire de l’Église et tout particulièrement par le Grand Irénée de Lyon, exprime bien la dynamique dans laquelle nous inscrit l’Ascension.
Le projet de Dieu, avant même la fondation du monde, nous dit St Paul dans sa lettre aux Éphésiens, c’est de « mener les temps à leur plénitude, en récapitulant toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. » (Eph 1,10)
Par son incarnation et « sa fraternité avec nous dans la chair et le sang, le Christ devient “la Tête” de l’humanité sauvée.» [1]
Jésus est la tête du corps dont nous sommes les membres. Si la tête est déjà au Ciel il reste encore à faire entrer le corps tout entier… Or, dans le projet, dans le dessein, de Dieu le corps tout entier, c’est la création toute entière.
« La création garde l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu.» (Rm 8,20) nous dit St Paul.
« Le projet originel du Créateur, explique Benoit XVI, c’est celui d’une création où Dieu et l’homme, l’homme et la femme, l’humanité et la nature sont en harmonie, en dialogue, en communion.» [2]
Depuis qu’il est entré dans le monde, le Christ ne cesse de rassembler, de “récapituler” toutes choses en Lui… C’est pour cela qu’il est venu dans le monde, pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés… Tous les enfants, animaux et créatures compris.
C’est ce qui permettait à St François d’Assise de s’adresser au soleil à la lune, aux étoiles, à l’eau, au feu, à la terre, au loup et aux oiseaux du ciel en les appelant frères et sœurs…
Avons-nous conscience réellement de ce que cela signifie pour nous qui nous revendiquons membres du Corps du Christ depuis le jour de notre baptême ?
St Paul, dans sa lettre aux Romains, nous rappelle que « la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.» (Rm 8, 22-23)
Les chrétiens que nous sommes devraient comprendre qu’ils sont appelés à être les accoucheurs de ce monde nouveau.
Le Pape François ne cesse de faire retentir l’appel à la fraternité universelle et à un engagement sans réserve pour une écologie intégrale qu’il appelle “service de la maison commune”.
Christ est le chemin, à nous d’en être « les témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.»
Pour cela Jésus nous promet l’Esprit-Saint.
Le temps qui s’ouvre aujourd’hui, jusqu’à la Pentecôte que nous célébrerons le 09 juin prochain, nous est donné pour nous ouvrir à l’Esprit…
Ouvrons nos cœurs, ouvrons le cœur de nos familles, le cœur de nos communautés, le cœur de notre monde à la venue de l’Esprit.
Incorporés au Christ, à l’appel de la Lettre aux Hébreux « continuons, sans fléchir, d’affirmer notre espérance ». Avec le Christ et en Lui, continuons notre montée vers le Père entraînant dans notre sillage la création toute entière.
Appelons l’Esprit sur chacun d’entre nous et demandons-Lui de nous conduire au Père par le chemin du Fils.
Laissons le Christ continuer son ascension en chacun d’entre nous : « Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel.»
Oui, « Maranatha, viens Seigneur Jésus ! »
[1] Benoît XVI, Audience du 14 février 2013.
[2] Pape Benoit XVI, idem.