https://www.aelf.org/2022-08-28/romain/messe
22ème dimanche ordinaire C
Remise de la lettre de mission de Patrice Tétrel
- Si 3, 17-18.20.28-29
- Ps 67 (68), 4-5ac, 6-7ab, 10-11
- He 12, 18-19.22-24a
- Lc 14, 1.7-14
Frères et Sœurs, chers amis,
Je trouve amusant et intéressant que la liturgie nous invite aujourd’hui à méditer sur l’humilité.
En voilà une notion bien démodée et pourtant si fondamentale pour vivre en vrai chrétien ! A une époque qui magnifie la force, la santé, la beauté et qui voudrait repousser les limites de la vie par ce qu’on appelle « la réalité augmentée » ou le transhumanisme… Que vient faire l’humilité, dont on sait que l’origine vient du latin “humus” qui désigne la terre, la glèbe dont nous sommes sortis ? Justement il semble que tous les efforts de nos contemporains soient orientés à nous extirper de notre condition « terreuse » pour entrer dans une réalité de plus en plus virtuelle et débranchée du contact avec le réel… Exit la maladie, la mort et les épreuves, bonjour l’immortalité ! Enfin débarrassé de ses contingences, par la technologie, l’homme serait à deux doigts du bonheur sans limite…
La tentation n’est pas nouvelle !… Elle est aussi vieille que le monde !… Les élucubrations de nos scientifiques, politiques, ou idéologues à la mode n’ont rien de neuf, même si elles prennent parfois des allures plus modernes et plus impressionnantes que la construction de l’antique tour de Babel ! Les anciens qui ont écrit la Bible ne s’y sont pas trompés : La tentation susurrée dans l’oreille de l’Ève des origines en vue de la faire partager à son imbécile de mari, au matin du monde, est bien là : « Vous serez comme des dieux ! »
Et voilà que Ben Sirac, le Sage, nous ramène ce matin à la réalité : « La Condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui ! » Le refrain du psaume, repris du Magnificat, lui fait écho de façon plus poétique et moins brutale : « Béni soit le Seigneur : il élève les humbles ».
Et le verset de l’Alléluia explicitait, quant à lui, l’invitation du Christ : « Devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur. »
Vous savez, les textes que l’Eglise nous propose dans la liturgie ne sont pas choisis au hasard. Ils ont une cohérence entre eux qui nous conduit à mieux comprendre ce que Dieu attend de chacun d’entre nous…
L’Evangile point culminant de la liturgie de la Parole donne la fine pointe de l’enseignement : Et là, aujourd’hui, c’est clair : « Quand tu es invité, va te mettre à la dernière place ! » Bingo : nous revenons à notre fameuse humilité.
En cette veille de rentrée, il n’est peut-être pas inutile de méditer un peu cette notion…
Notre vie n’est-elle pas une permanent combat pour monter ? Monter dans l’échelle sociale, monter dans la hiérarchie professionnelle, monter dans l’estime de nos voisins ou de nos concitoyens, monter en puissance et même, pour les plus pieux, monter vers Dieu !
Pendant ce temps, nous dit Charles de Foucauld, commentant l’Evangile de Luc : “Toute sa vie Jésus n’a fait que descendre : descendre en s’incarnant, descendre en se faisant petit enfant, descendre en obéissant, descendre en se faisant pauvre, délaissé, exilé, persécuté, supplicié, en se mettant toujours à la dernière place.” Il va même jusqu’à reprendre l’évangile d’aujourd’hui : « ‘Quand vous êtes invités à un festin, asseyez-vous à la dernière place’ c’est ce que Jésus fait lui-même depuis son entrée au festin de la vie, jusqu’à sa mort. »[1]
Alors, si nous sommes d’accord pour reconnaître en Jésus « le médiateur d’une alliance nouvelle », comme nous y invitait la lettre aux Hébreux entendue ce matin, essayons de comprendre un peu mieux. S’agit-il de monter ou de descendre ?
Saint Benoît lui-même, père des moines d’Occident, enseignait que l’échelle de l’humilité se monte en descendant et que nous la descendons à peine voulons-nous en atteindre le sommet…[2]
Le véritable chemin de l’humilité pour nous qui prétendons être chrétiens, c’est de rencontrer Jésus dans la vérité de son ascension vers Dieu, qui n’est autre que sa descente au milieu des hommes…
Saint Paul nous le dit bien dans sa lettre aux Philippiens :
“Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir et à mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout; Il lui a conféré le nom qui surpasse tous les noms.”
Revenons rapidement à l’Evangile. Jésus nous propose, quand nous sommes invités à une réception, de prendre la dernière place. Attention là aussi… Il y a des petits malins qui effectivement se mettent à la dernière place mais en toussant très fort pour que le maître de cérémonie les repère bien et les appelle à monter plus haut… C’est calculé comme ceux qui arrivent en retard à la messe (ou à la réunion de parents d’élèves) et qui remontent toute l’allée pour qu’on ait bien le temps de voir leur nouveau costume ou leur nouveau chapeau !
Notre souci à nous et la meilleure façon de ne pas tomber dans le piège c’est, avec Jésus, de prendre effectivement la dernière place, c’est-à-dire celle du serviteur et de celui qui donne sa vie pour ses amis… Un bon serviteur disparaît dans le décor…
La montée, notre montée, sera alors le travail de Dieu et, croyez-moi, dans ce domaine, il fait les choses bien mieux que nous…!
Simplicité, gratuité, écoute, accueil, ouverture, disponibilité, autant d’attitudes qui nous permettront, là où nous sommes, d’atteindre les sommets sur lesquels Dieu nous attend.
Ce que je viens de dire concerne Patrice d’une manière toute particulière et tous ceux qui, à l’occasion de cette rentrée se voient confier de nouvelles responsabilités. Et j’en suis !…
Lui par la lettre de mission que je vais lui remettre, moi, par le choix fait hier par collège des consulteurs de me confier la tâche d’administrateur diocésain.
En recevant cette mission nous exprimons que, chacun pour sa part et chacun a sa place, nous nous reconnaissons membres actifs du corps du Christ, participants à sa mission dans le monde.
Que nous soyons prêtre, diacre, catéchiste, président de sépulture, directeur d’école catholique, administrateur diocésain ou que sais-je encore, nous ne sommes pas des fonctionnaires du culte ni même des prestataires de service, mais des témoins du Christ, venu dans notre monde partager l’épaisseur de notre condition humaine et ouvrir pour elle l’espérance de la vie en plénitude. Il ne faudrait surtout pas que cela nous monte à la tête au risque sinon de devenir des obstacles à la Bonne Nouvelle.
Votre service, Patrice, ne consistera pas d’abord, vous le savez bien, à organiser le service funéraire comme si vous étiez une annexe des pompes funèbres. Il consistera à faire toucher du doigt aux personnes en deuil que le Règne de Dieu est tout proche…
Effacez-vous, Patrice, devant le Christ, comme je tâcherai de le faire moi-même. Par vous, il cherche à s’approcher des familles en deuil. Approchez-vous au plus près de la souffrance de vos frères et sœurs, dans le respect absolu de leur intimité mais la proximité la plus grande possible, et sans jamais vous mettre en avant. C’est Dieu qui est « Père des orphelins et défenseur des veuves » comme le rappelait le psalmiste tout à l’heure. Pas nous !
Approchez-vous à la manière de Jésus, comme le bon samaritain le fait avec le blessé au bord de la route…
N’ayez pas peur d’être pauvre et désarmé. Vous n’en serez que davantage témoin de Jésus.
Laissez-le agir en vous et par vous. Soyez malléable entre ses mains.
Développez sans cesse votre vie d’union à Dieu qui prend sa source dans votre baptême. Sinon, c’est de vous-mêmes et non du Christ que vous serez témoin auprès de nos frères et sœurs souffrants et des familles en deuil. Ce n’est pas ce qui vous est demandé.
Je ne peux que vous encourager à confier votre ministère à Marie, maîtresse magistrale d’humilité.
« Regarde l’étoile, invoque Marie, si tu la suis, tu ne crains rien ! Regarde l’étoile, invoque Marie, elle te conduit sur le chemin ! », chantait St Bernard.
Elle est le remède absolu contre la grosse-tête et toute forme d’ambition. Mettez-vous à son école et vous ne risquez pas de vous tromper.
Bon ministère à vous Patrice et bonne rentrée à nous tous !
f[1] Voyageur dans la nuit, 208
[2] Cf. Règle de St Benoît, chapitre 7