Homélie du 18 mai 2019 (jeudi saint)

Textes :

 

Frères et sœurs, nous sommes entrés dans les jours saints au cours desquels nous allons célébrer l’anniversaire de notre Salut, de notre Rédemption, de notre passage à la vie, de notre “pâque” des ténèbres du péché à la lumière de l’amour.

Vous savez combien notre Église universelle est traversée actuellement par une remise en question fondamentale.

Se sachant et se reconnaissant “Corps du Christ à l’œuvre dans le monde”, elle est toutefois douloureusement ramenée à sa réalité de peuple de pécheurs en chemin.

Certains, parmi nous, ont cru que le service qui leur était confié d’édifier la communauté, il pouvait l’accaparer à leur propre service.

Au lieu d’user des moyens mis à leur disposition pour servir l’avènement, l’éducation, l’élévation des plus petits, ils ont abusé de leur prestige et de leurs autorités, pour asservir les autres et assouvir leur passion les plus glauques…

Certains responsables hiérarchiques, avec la complicité silencieuse, il faut bien le reconnaître, de nombre d’entre nous – croyant ainsi présenter aux yeux du monde et de Dieu, une Église sans tâches ni rides – ont préféré, au lieu de « se livrer pour elle » comme le rappelle St Paul dans sa lettre aux Éphésiens (Eph 5,25-27), maquiller ces turpitudes sous le voile du secret comme on essaie de sauver une beauté qui se fane.

Ce faisant, au lieu de faire resplendir la beauté du visage de l’Épouse du Christ, ils l’ont revêtu d’un masque grotesque et repoussant…

Cette attitude, finalement motivée par une “suffisance” complètement hors de propos, est  devenue occasion de chute, scandale au sens premier du terme qui signifie “pierre qui fait tomber”, pour nombre d’entre nous… et occasion surtout  de désespoir sans fond pour les victimes de ces infamies.

Notre Église de France n’est pas épargnée comme vous le savez bien. Devenant ainsi, à juste titre, la proie et la risée de ceux qui ont juré sa perte.

Pour éviter toute équivoque, je voudrais saluer ici le travail courageux de certains médias ou associations qui par un travail méticuleux et courageux nous ont permis de prendre vraiment conscience de l’ampleur du problème. Il ne faut pas les confondre avec les journaux à scandale qui frétille dès qu’ils peuvent remettre en question toute forme d’institution…

Dans un tel contexte, je ne peux m’empêcher de “lire” le récent incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris, au seuil de notre Semaine Sainte, comme un “signe” de cette déchéance qui met en péril l’édifice tout entier…

Que reste-t-il au cœur de l’édifice en ruine ? La Croix dressée sur le monde et Marie au pied de la Croix en recevant le corps torturé de son fils.

Après des siècles de spiritualité, au cours desquels nous avons cru réserver au prêtre seul “la ressemblance du Christ”, faisant de lui un “alter Christus”, le moment n’est-il pas venu de nous rappeler que c’est d’abord et avant tout aux victimes que le Christ s’est assimilé en prenant la condition humaine… ? Et que s’il est un autre Christ, c’est dans les pauvres, les petits et les victimes de tous les temps et de tous les abus qu’il nous faut d’abord le chercher…

En exergue, en “tête” de ce Triduum, de ces “trois jours saints” qui commencent aujourd’hui et qui le conduiront d’abord à la mort puis de la mort à la vie, Jésus place le service : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.»

Prions frères et sœurs, pour apprendre à sortir ensemble du cléricalisme et des abus de pouvoir en tous genres dont notre église et notre communauté n’est pas exempte au même titre que toutes les structures qui régissent notre communauté humaine.

Je pense notamment à nos familles, à nos écoles, à nos associations en tout genre, à nos entreprises, à nos administrations…

Si nous cherchons le pouvoir et la grandeur, apprenons à l’école de Jésus que « le plus grand c’est celui qui sert et non celui qui se sert ».

Apprenons de Moïse à « écouter Dieu jusqu’à entendre le cri des hommes», pour reprendre l’expression du Pape François. Ces hommes réduits en esclavage par le pouvoir abusif des pharaons d’aujourd’hui qui polluent nos différentes communautés humaines.

Le deuxième geste que Jésus nous laisse en héritage ce soir, c’est celui de la vie partagée en nourriture pour alimenter notre engagement à sa suite…

L’Eucharistie c’est Jésus qui se fait pain et vin en mémoire du sacrifice qu’il va faire de sa vie sur la croix : « chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi.»

Apprenons de Jésus à donner notre vie. Réapprenons, si nécessaire, le goût de communier et de participer régulièrement avec la communauté réunie en son nom, au mémorial que Jésus nous confie de sa mort sur la croix…

Puisons à la source qu’est le cœur de Jésus, transpercé sur la Croix, les forces dont nous avons besoin pour bâtir et rebâtir sans cesse une Église en tenue de service.

Prions en ce jour, pour les prêtres qui ont reçu la si belle mission de rendre présent ce mémorial pour l’édification de notre Église.

Que ces temps troublés que nous traversons, leur donne de toujours davantage se convertir au service auquel ils ont été appelés et ordonnés….

Et que sur notre Terre se lève la lumière de Pâques…

Au cœur de Notre Dame détruite il reste la croix et Marie au pied de la Croix…

Avec elle entrons dans ces jours saints et suivons Jésus pas à pas, pour passer avec lui de la mort à la vie.