Paul affirme dans sa seconde lettre aux Corinthiens que nous, les croyants, « nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision » (II Co. 5, 7). Si l’on traduit plus littéralement on obtient « par la foi en effet nous marchons, non par la vue ». Vraiment ? la foi, qui renvoie à la confiance et à la promesse, serait donc, pour marcher, plus adaptée que la vue ?
Dans l’Évangile de ce dimanche nous voyons Jésus annoncer « le règne de Dieu » dans la mesure où chacun est capable de l’entendre. A la foule il semble s’adresser d’une manière détournée, voilée, par parabole ; alors que ses disciples ont droit à des explications particulières (Mc 4, 34). Alors avec Jésus il y aurait, comme dans nos festivals estivaux, du in et du off ? Des auditeurs à deux vitesses, voir quelques enseignements ésotériques pour ces disciples les plus proches ?
Et puis « le règne de Dieu », quèsaco, qu’est-ce ceci ?
Pour les contemporains de Jésus il fait peu de doute que le « règne de Dieu » c’est la souveraineté de ce dernier sur le monde, souveraineté à laquelle le peuple d’Israël sera associé. Dieu est le plus fort et son peuple, les croyant, eux aussi seront avec lui les plus forts. Jour terrible que celui ou Dieu viendra exercer sa souveraineté, terrible pour les ennemis du peuple et des croyants. Dieu c’est du sérieux, on ne plaisante pas avec lui. Lorsque Moïse rencontre Dieu sur la montagne c’est au milieu du feu, de l’orage, des éclairs et des tremblements de terre (Exode 19, 16).
Et pourtant déjà dans l’Ancienne Alliance lorsque le prophète Elie, celui-là même qui n’hésite pas à faire égorger les prophètes d’un culte concurrent (1 Roi 18, 40), rencontre Dieu à son tour dans la montagne…Dieu ne se tient pas dans l’orage, le tremblement de terre ou le feu mais dans une brise légère, un souffle ténu (1 Roi 19, 11 à 12).
Et pourtant déjà…le serviteur souffrant d’Isaïe « Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien… Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié… Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ?… Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. » (Isaïe 53).
Ici se dessine un Dieu qui n’a plus rien d’un conquérant terrible : ni Alexandre, ni Gengis khan et encore moins Attila ! Dieu se découvre étranger à toute violence, sa toute-puissance est celle de l’amour …infini fragilité de l’amour qui se propose tout en refusant de disposer. On dispose des objets mais pas des êtres.
Jésus annonce donc la Parole, le Verbe dit par le verbe ce qu’est « le règne de Dieu ». Cette force de la Vie qui souffle au cœur de nos vies à quoi la comparer ? ici les paraboles, bien mieux que les discours et les concepts, nous permettent de saisir l’insaisissable, de comprendre l’incompréhensible de se Dieu qui se donne et se fait notre. La parabole, par des images toutes prosaïques (le geste du semeur et le champ de blé, la graine de moutarde et les plantes du potager …) nous saisit du feu de la poésie pour nous faire sentir, ressentir, retentir au cœur et au corps la nouveauté saisissante du royaume qui vient. Et pourtant cela est si ténue, si fragile… une brise si légère (mais d’une légèreté qui est celle de la grâce, de la beauté, de la vie !) que l’on pourrait ne pas l’entendre au milieu des « buzz » contemporains (c’est autre légèreté bruyante comme les gargouillis d’une mauvaise digestion, pets et contrepets).
Ici la foi est écoute, une écoute qui n’en met pas plein la vue mais qui marche en toute confiance avec celui qui chemine humblement avec chacun d’entre nous, au cœur et au corps de chacune de nos vies. Un savoir qui vient des pieds et de l’attention à l’essentiel. Donne nous Seigneur ce savoir qui est tient, qui est toi. Ici pas de in, ni de Off, pas de savoirs ésotériques mais une expérience à vivre. Par sa vie, par son souffle le Seigneur vient expliquer à tous en particulier. Que vienne ton souffle, ton feu, ta vie…Seigneur je suis prêt, apprêté comme la bien aimée pour son aimé.