Homélie du 10 février 2019

Textes :

 

« Éloigne-toi de moi Seigneur, car je suis un homme pécheur ! » Elle est surprenante cette réaction d’effroi de Pierre tombant aux genoux de Jésus…

Et pourtant j’ai l’impression que cette attitude est récurrente dans la Bible et qu’elle est même peut-être le thème que l’Église propose à notre méditation en ce 5ème dimanche du temps ordinaire.

En effet, on retrouve la même posture chez Isaïe, dans la première lecture. Dans sa vision du Seigneur trois fois saint, le grand prophète s’écrie : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! »

C’est comme si la rencontre de la sainteté de Dieu nous effrayait parce qu’elle met en lumière nos propres turpitudes !

Je me souviens d’une réception chic un soir d’été chez des amis… Chacun se promenait avec son assiette autour de tables garnies de plats en tout genre tous meilleurs les uns que les autres. J’avais fait une grosse tache sur ma chemise blanche…

Je m’étais réfugié dans un coin un peu moins éclairé pour cacher ma maladresse… Le problème c’est que j’avais faim et que si je voulais me servir il fallait inévitablement m’approcher des tables bien éclairées et mettre en évidence le fait que je m’étais goinfré un peu vite jusqu’à éclabousser ma chemise !

J’avais le choix entre crever de faim et garder ma fierté ou rassasier mon appétit en assumant humblement ma maladresse ! Choix cruel !

Eh bien, toute proportion gardée, il en est de même pour nous quand nous nous confrontons à la sainteté de Dieu !

Allons-nous nous réfugier dans nos ténèbres ou plutôt reconnaître humblement nos limites pour accueillir le don de Dieu ?…

Il en va ici de notre rapport au Dieu de miséricorde dont la révélation culmine dans le visage de Jésus.

Qu’Isaïe ait peur d’un Dieu Tout Puissant se comprend assez bien dans l’imaginaire de l’époque, mais les disciples de Jésus que nous sommes savent bien que si Dieu s’est fait homme c’est, comme nous le rappelle Jean le Baptiste, pour enlever le péché du monde et appeler « non pas des justes, mais des pécheurs.» (Cf. Mc 2, 17)

Il faudra à Pierre trois années de compagnonnage et de formation parfois un peu “musclée” pour en prendre conscience.

Rappelons-nous notamment cette scène inoubliable, au bord du lac, là encore après une expérience de pêche miraculeuse : Le pardon qui libère en appelant à l’amour, au-delà de la trahison publique et pitoyable du premier des apôtres…

« Le Christ est mort pour nos péchés » nous rappelait St Paul dans la deuxième lecture.

Lui aussi pourtant, le grand Saint Paul, a bien conscience de son indignité : « je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. »

Et pourtant, dit-il, ce Jésus, « il est apparu à l’avorton que je suis ! …/… Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce en moi, n’a pas été stérile !»

C’est la grâce de Dieu qui permet à Pierre, comme à Paul, comme à Isaïe, d’accepter la mission confiée au-delà de leur profonde indignité.

Pierre reçoit et accepte la mission d’être le berger de l’Église (cf. Mt 16,18 ; Jn 21) et d’affermir ses frères dans la foi (Cf. Lc 22,32)…

Paul, celle d’être la lumière des nations païennes (cf. Actes 13,47).

Isaïe, dont les lèvres impures sont purifiées par le charbon venu de l’autel de Dieu… devient lui aussi disponible à la mission confiée… : « J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : “Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ?” Et j’ai répondu : “Me voici : envoie-moi !”»

……

Croyons-nous vraiment à la miséricorde de Dieu ?

J’ai l’impression, au fond, que comme Pierre, Paul et Isaïe, ce qui nous retient c’est la peur et la honte… Nous sommes de vrais fils d’Adam : « j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché! » (Gn 3,10)

Nous avons peur de Dieu parce que nous ne pensons qu’à nous-mêmes au lieu de nous penser en Dieu. Dieu nous fait peur parce que nous avons conscience de notre péché… et nous avons honte de ne pas être à la hauteur. Comme s’il nous était demandé d’être à la hauteur !!!

Nous avons peur de nous-mêmes et de nos limites… Nous sommes tellement préoccupés par nous-mêmes, que nous oublions tout simplement que Dieu nous aime !

Ne sommes-nous pas souvent tentés de nous réfugier au sein même de notre indignité et de nos limites, finalement bien confortables, pour ne pas nous laisser interpeller ? : « Je suis bien trop indigne pour que Dieu puisse compter sur moi… Laissons faire ceux qui en sont digne ! »

Mais Dieu n’attend pas de pouvoir compter sur nous pour nous appeler ! Ce qu’il nous propose c’est d’apprendre à compter sur Lui ! Ne renversons pas les rôles ! Il ne nous demande pas de mériter son amour, mais de l’accueillir ! Pourquoi avoir peur de l’amour ?

Je me demande parfois si ce qui nous retient, finalement, ne serait pas “l’amour de notre péché”.

Peut-être n’avons-nous pas du tout envie de laisser Dieu anéantir notre péché parce que nous n’avons, au fond, aucune intention de changer de vie ! Nous tenons à notre péché comme un grigou tient à ses sous ou un célibataire endurci à ses petites manies… Nous oublions, encore une fois, que « le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Cor 5, 15)

À l’écoute de la Parole de Dieu apprenons à sortir de notre égoïsme encombrant pour ne pas dire envahissant et rendons-nous disponibles aux appels de Dieu.

Ce à quoi la miséricorde révélée en Jésus nous invite c’est d’abord et avant tout à un acte de foi en Dieu dont l’amour est plus grand que nos péchés.

Dieu veut nous relever et si nous lui donnons la possibilité et l’autorisation de nous relever – ce qu’il ne fera jamais sans notre permission ou notre acquiescement – c’est pour qu’il puisse nous mettre ou nous remettre au travail.

Des  pécheurs que nous sommes Jésus veut faire des “pêcheurs d’hommes” ! Laissons-nous conduire au Large, tels que nous sommes, pour lancer les filets en son Nom !

En confiance, avec le psalmiste tournons-nous donc vers Dieu : « Seigneur, éternel est ton amour : n’arrête pas l’œuvre de tes mains », et dans un acte d’amour vrai et sincère, redisons-lui : « Le jour où tu répondis à mon appel, tu fis grandir en mon âme la force.»

Oui, Seigneur, je le sais : « je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ! »