Homélie du 9 décembre 2018

Textes :

 

En ce deuxième dimanche de l’Avent, les lectures nous invitent à la joie débordante… : « Quitte ta robe de tristesse …/… Revêts la parure de la gloire de Dieu …/… Dieu va déployer ta splendeur partout sous le ciel …/… Notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie…»

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais je vous avoue franchement que le contexte social que nous vivons actuellement ne me pousse pas vraiment à la joie exubérante !

Comment entendre ces paroles sans avoir l’impression d’un immense décalage avec la situation que traverse notre pays actuellement… Fracture sociale exacerbée, révolte, blocage en tous genres, sentiment de mépris, absence de dialogue, violence…

Alors, que faire ? Faut-il nous enfermer dans la bulle de nos églises et boucher nos oreilles au bruit du monde pour nous réconforter au chant des Écritures ?

D’abord, pour nombre d’entre nous c’est tout simplement impossible, parce que nous sommes directement concernés et impactés par ce qui se passe et par les revendications qui s’expriment et que nous exprimons parfois nous-mêmes dans une grande cacophonie, il faut bien le dire.

Ensuite, le repli sur soi n’est pas le chemin que nous propose la démarche de l’Avent…

Jean, le Baptiste, prophète de l’Agneau de Dieu ne nous appelle pas à la résignation béate, mais à la conversion et à l’engagement : « Préparez le chemin du Seigneur ! »

Oui, bien sûr, « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis.» Bien sûr… mais ils ne s’aplaniront pas tout seuls… Engagez-vous : « Rendez droits les sentiers du Seigneur ! »

Si nous sommes réellement chrétiens, c’est-à-dire tendus de toutes nos forces vers l’avènement du Royaume de Dieu initié par Jésus en son incarnation, le mouvement qui paralyse nombre de secteurs d’activités dans le pays et se trouve embarqué, bien souvent malgré lui, dans un tourbillon de violence, ne peut ni ne doit nous laisser indifférents.

Ni la peur ni le mépris non plus ne doivent être au rendez-vous… Nous préparons Noël !

C’est quoi Noël ?

Noël c’est “la fête de l’humanité” par excellence !

Peut-être vaudrait-il mieux dire “fête de l’humain” pour éviter les ambiguïtés, ou “fête de la fraternité” ! Par sa naissance en notre chair, le Fils éternel de Dieu, révèle à l’humanité sa dignité et sa vocation de fille de Dieu… de fille aimée du Père !

Le Concile Vatican II nous dit : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps …/… sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ…/…, la communauté des chrétiens se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire.» Alors, c’est vrai ou pas ?

À Noël, Dieu en Jésus, rejoint le peuple des humbles et des oubliés… Sa naissance dans une crèche parce qu’il n’y avait pas de place pour lui à l’hôtellerie, fait que les bergers qui dormaient dehors sont les premiers avertis et les premiers à se mettre en route pour adorer l’enfant… Pendant que les puissants, à la suite d’Hérode en son palais, paniquent et s’agitent dans tous les sens face au mouvement des astres…

À Noël, comme autrefois en Égypte, Dieu a entendu, la clameur de son peuple et il y a répondu.

Cette fois ce n’est plus Moïse qu’il envoie pour libérer le peuple. C’est lui-même qui s’implique dans l’histoire.

Il s’incarne dans le problème… Il vient prendre sur lui le joug qui pèse sur les épaules non seulement de son peuple Israël mais de tous les humains créés à son image…

Le Père Christian Chesse, de la Congrégation des Missionnaires d’Afrique est le plus jeune (35 ans) des 19 martyrs d’Algérie, béatifiés ce jour à Oran. Il écrivait un jour : « La compassion ne serait-elle pas le premier mot d’une prise de parole et le premier geste d’engagement avec l’autre et pour l’autre, quelle que soit sa foi ?».

Compatir signifie littéralement “souffrir avec”, entrer dans la souffrance de quelqu’un et la porter avec lui…

C’est la mission première du Christ et donc du chrétien…

Peut-être serait-il bon que les chrétiens que nous prétendons être restent éveillés pour ne pas passer à côté de la naissance de Jésus…

En méditant l’autre jour me venait l’idée que peut-être cette année Jésus pourrait naître, en France du moins, dans un barrage filtrant ! Oh, non pas pour donner raison aux gilets jaunes ou pour récupérer leurs suffrages comme le font certains politiciens sans vergogne, mais simplement, comme il y a deux mille ans, pour leur dire dans le langage le plus humain qui soit, celui de la naissance d’un nouveau-né, comment on peut vivre en fils de Dieu quand on est un fils d’homme…

Quand une portion très importante d’un peuple fatigue sous le poids du mépris de ses dirigeants, à ce point obnubilés par les questions d’équilibre financier et budgétaire qu’ils finissent par ne plus prendre le temps de s’asseoir pour écouter la souffrance du quotidien exprimée par ceux qui justement la vivent au quotidien cette souffrance, il ne faut pas s’étonner que cela finissent par faire des étincelles…

Comment s’étonner qu’après des décennies de valorisation à outrance de l’individualisme, tant au niveau personnel qu’au niveau des entreprises et de la structure sociale, la loi de la jungle prenne le dessus ?

Quand sont érigés en valeurs absolues la réussite et l’épanouissement de l’individu isolé, au mépris de son appartenance à un groupe, à une famille et au détriment du bien commun et de la maison commune, c’est la loi du plus fort, la loi de la jungle, qui s’impose…

Comment s’étonner qu’après des décennies de déconstruction de la société à commencer par sa cellule primordiale qu’est la famille, de destruction systématique des repères ancestraux au nom d’une soi-disant émancipation de l’individu, et de matraquage médiatique incessants, on ne sache plus contenir sa propre violence même quand elle nous répugne ?

Le mouvement qui agite actuellement notre pays, n’est pas vraiment une surprise… Et s’il provoque à juste titre un sursaut d’indignation devant les débordements qu’il engendre même “à l’insu de son plein gré” (!), force est de constater qu’il a obligé le gouvernement à revoir sa copie…

Puissions-nous, au-delà des pavés et des chars de rue, retrouver la logique et les outils du vrai dialogue relégués au placard depuis fort longtemps !

En toile de fond de ce qui ébranle notre pays, plus sournoise mais non moins puissante, surfant sur le “ras le bol” d’une grande partie de la population et la récupérant même au passage, ne voit-on pas, un peu partout sur la planète, pointer une autre vague de violence politique nourrie de ressentiment et de frustration… Une vague non plus de gilets jaunes mais de chemises sombres, “brunes ou noires” qui attendent et préparent leur retour triomphal !

Quand on sait qu’actuellement nombre de jeunes ne peuvent imaginer leur avenir que comme une suite interminable de CDD, alors qu’ils ont besoin de croire en ce qu’ils sont et en ce qu’ils font, on comprend que nombre d’entre eux soient devenus totalement sourds à des discours auxquels ils ne croient plus depuis longtemps.

Les faits sont là ! Le chômage, la paupérisation et le mépris de la part des classes dirigeantes exacerbent ce qu’il y a de plus vil en chacun d’entre nous… L’humiliation de certains par les classes dirigeantes à toujours été un vecteur de violence sans égale…

Appelons la paix sur notre pays, retroussons nos manches… “Paix de la justice” et “gloire de la piété envers Dieu”… Voilà les noms que Dieu souhaite donner à son peuple d’après la 1ère lecture ! Prenons les moyens, en ce temps de l’Avent, de préparer nos cœurs… St Paul nous disait tout à l’heure « Que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important.

Or ce qui est important, ce qui est la base d’une société paisible c’est d’abord et avant tout la volonté de se regarder et de s’accueillir comme des frères… Et là, qui que nous soyons, peuple de France, nous avons un sérieux chemin à parcourir…

« Ramène Seigneur nos captifs comme les torrents au désert ! » Que ceux qui sèment dans les larmes, moissonnent enfin dans la joie !

Viens Seigneur, viens nous sauver !