Textes :
Aujourd’hui, c’est la fête du Christ Roi ! Voilà une expression qui fait peur à beaucoup et semble d’un autre âge… Dans la société farouchement républicaine qui est la nôtre et dont les fonds baptismaux, ne l’oublions pas, ont été aspergés du sang du dernier “vrai” roi de France… et de très nombreuses victimes de la folie révolutionnaire, il n’est pas étonnant que le terme lui-même sonne bizarrement…
Pilate semble fasciné par ce mot qui l’obsède littéralement… Il y revient de nombreuses fois tout au long de l’interrogatoire que nous rapporte St Jean, dans son Évangile de la Passion., dont nous venons d’entendre un court extrait. Regardons-y de plus près…
Jésus, dans son face à face avec Pilate, semble ne pas revendiquer le fait d’être roi. Il ne le nie pas non plus… mais il précise bien que sa royauté n’est pas de ce monde et, ce faisant, il conduit Pilate à approfondir la question : « Tu es donc roi ? »
« C’est toi-même qui dit que je suis roi » répond Jésus, et pour éviter que Pilate ne se fourvoie, il lui explique, et à nous en passant, de quelle royauté il s’agit : Une royauté non de pouvoir et d’asservissement, mais de service et de vérité…
Cette royauté de Vérité ne s’exerce pas uniquement d’ailleurs sur les disciples de Jésus… Vous aurez remarqué comme moi que Jésus ne dit pas « quiconque écoute ma voix appartient à la vérité » mais bien « quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ». Ce n’est pas tout à fait pareil !
Jésus nous révèle que la Vérité n’est pas enfermée en lui-même et que, si elle réside bien en lui, elle est ouverte à tous les hommes de bonne volonté….
Mgr Claverie, archevêque d’Oran assassiné en 1996 et dont la béatification et celle de 18 autres martyrs d’Algérie aura lieu à Oran le 08 décembre prochain affirme à propos de la recherche de la vérité dans la rencontre avec les non-chrétiens : « Dès que nous prétendons posséder la vérité, ou parler au nom de l’humanité, nous tombons dans le totalitarisme et dans l’exclusion. Nul ne possède la vérité, chacun la recherche… Je suis croyant. Je crois qu’il y a un Dieu, mais je n’ai pas la prétention de posséder ce Dieu-là, ni par le Jésus qui me le révèle, ni par les dogmes de ma foi. On ne possède pas Dieu, on ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres.»
La royauté de Vérité de Jésus n’est pas une royauté d’asservissement, disais-je, mais de libération. « La Vérité vous rendra libre » (Jn 8, 32) nous dit Jésus.
La royauté de Jésus ne s’impose pas, mais elle est “disponible” aux cœurs ouverts à la vérité… : « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix.»
Après avoir lavé les pieds de ses disciples, quelques heures avant sa rencontre avec Pilate, Jésus leur avait déclaré : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » (Jn 13,13-14)
Une telle affirmation, malgré toute la bonne volonté qu’il semble vouloir mettre en œuvre, Pilate est parfaitement incapable de l’entendre. Elle remet bien trop en question l’ordre établi… Un roi serviteur, aux yeux de Pilate et de la puissance romaine, c’est totalement inconcevable, totalement irrecevable !
Quand Jésus affirme « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix.» Pilate ne peut s’empêcher de répondre : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Pilate est déstabilisé et semble dépassé par la situation, mais il voudrait sauver celui qu’il continue d’appeler “Roi des Juifs”, (inconscient qu’il est que c’est Jésus le Sauveur !)
Il sort de nouveau à la rencontre des Juifs, nous dit saint Jean, et il leur déclare : “Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.”»
Devant l’insistance des juifs qui veulent à tout prix la mort de celui qui prétend être le Fils de Dieu, il essaie de se dépêtrer en proposant de libérer Jésus pour respecter la coutume…
Mais au jeu diplomatique, les grands-prêtres sont plus forts que lui… Ils demandent la libération de Barabbas !
Quand on sait que Bar-Abbas signifie “Fils du Père” Nous comprenons sommes ici au cœur du drame de la Passion : Pour obtenir la mort du “Fils de Dieu” innocent, on demande la libération du criminel dont le nom est “Fils du Père” !
Pilate, une dernière fois, va essayer de sauver “son Roi des Juifs” qu’il semble apprécier… Surfant sur la piteuse mascarade, mise en scène par ses propres soldats, il fait amener Jésus dehors, revêtu de la pourpre royale, ceint de la couronne d’épines et muni du sceptre de dérision…
« Voici l’homme ! » déclare-t-il solennel et devant les hurlements « à mort, à mort, crucifie-le » des grands-prêtres et des gardes, il reprend : « Vais-je crucifier votre roi ? »
Et voilà que tombe la cynique réponse des grands-prêtres : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » Tu parles ! Il n’en avait rien à cirer de l’empereur… Mais quand on veut obtenir quelque chose et qu’on est de mauvaise foi on est prêt à dire n’importe quoi, même quand on est prêtre semble-t-il !…
Cette réponse, hypocrite au possible, fait tomber Pilate. Il a trop peur de se retrouver en porte à faux et de perdre le pouvoir qu’il croit posséder.
Jésus avait bien essayé de lui faire comprendre que ce pouvoir il ne le tenait que de Dieu et non du mandat de César… Rien n’y fait. Il cède à la pression politique !
Au lieu de laver les pieds de Jésus pour reconnaître la royauté du “pauvre roi des pauvres” qu’il a devant lui, ce sont ses propres mains que Pilate va laver en signe de désengagement… (Mt 27,24) « Alea jacta est ! » les dés sont jetés ! Et pourtant…
Malgré sa décision, fatale pour Jésus, Jean nous raconte que Pilate n’est pas revenu sur son opinion vis-à-vis du Nazaréen qu’il continue de respecter.
Il fait placer sur la croix de Jésus un écriteau rédigé (pour ceux qui ne comprennent pas le français !!! ) en grec, en latin et en hébreu . Il y est écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. »… « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » répondra-t-il ensuite nerveusement aux grands-prêtres qui voulaient lui faire modifier l’inscription…
La joute oratoire entre les grands-prêtres et le gouverneur romain, qui débouchera finalement sur la sentence de mort du roi des juifs est une affaire purement politicienne. Sur le terrain sur lequel les grands-prêtres essaient d’entraîner Pilate la vie de l’homme de Nazareth ne pèse pas lourd…
En fait, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant la vie du Nazaréen, mais bien le pouvoir de domination sur les individus et la société auquel tiennent tant, aussi bien les grands prêtres que Pilate lui-même…
Ce “jeu de pouvoir” n’est pas une nouveauté dans le monde… Pour obtenir de régner sur les autres ou maintenir le pouvoir qu’ils ont acquis, les hommes de tous les temps ont été capables des pires turpitudes et le sont encore de nos jours…
Pour trouver des exemples il n’y a pas besoin de remonter au moyen-âge, soit disant ténébreux, ni de partir bien loin… Il suffit de regarder ce qui se passe un peu partout à travers le monde…
Dans un même registre, moins dramatique il est vrai, mais non moins ridicule, quand un parlementaire, sous le feu de la colère et celui des caméras de télévision, s’écrie : « La république c’est moi » on est en droit de s’inquiéter…
Pour Jésus, on l’a compris, il en va tout autrement. Son Royaume n’est pas d’ici-bas. Lui, le Verbe de Dieu fait chair qui porte le monde sur ses épaules, il nous invite à nous situer dans notre vraie dimension d’éternité.
Si nous comprenons cela il devient plus facile de vénérer le Christ Roi de l’univers et de rejoindre le cri d’admiration du livre de l’Apocalypse entendu dans la deuxième lecture : « À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen.»
En ce jour de la fête du Christ Roi de l’Univers, c’est un roi de paix, roi d’amour, roi de miséricorde et de vérité que nous célébrons.
Par toute sa vie Jésus nous apprend que servir et donner sa vie pour la vérité est la seule vraie façon de régner !
Oui Seigneur, « dès l’origine ton trône tient bon, tes volontés sont vraiment immuables : la sainteté emplit ta maison, Seigneur, pour la suite des temps.»