Textes :
« En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. »
On ne sait pas vraiment qui était le personnage mystérieux dont nous parle la première lecture. La Lettre aux Hébreux le dit bien : « A son sujet on ne parle ni de père ni de mère, ni d’ancêtres, ni d’un commencement d’existence ni d’une fin de vie ; cela le fait ressembler au Fils de Dieu : il demeure prêtre pour toujours.» (Hb 7,3)
Son nom, Melki Tsedeq, vient de Sedaqa et signifie roi de charité ou de justice. Il est “roi de Salem” c’est-à-dire roi de paix… Désigné “Prêtre du Dieu très haut… qui a fait le ciel et la terre.” Il reconnait en Abraham un envoyé de Dieu et il l’accueille et le bénit en lui offrant “le pain et le vin.”
La tradition chrétienne a toujours vu en lui une figure annonciatrice du Christ, lui aussi roi de justice et de paix, unique prêtre du nouveau sacrifice au Dieu très Haut qui offre le pain et le vin en mémoire vivante de l’offrande de sa vie.
Quant à moi, il me fait penser à ces grands prêtres de la religion traditionnelle des monts Mandaras au Nord-Cameroun. Prêtres du “Dieu du Ciel”, unique et créateur, ils se sont transmis, de générations en générations, le rôle de médiateurs entre Dieu et les hommes dont ils avaient la charge…
À l’arrivée du message chrétien, il y a un peu moins de 70 ans, ces grands prêtres l’ont accueilli avec un grand respect.
En Baba Simon, fondateur de la paroisse de Tokombéré, et en ses successeurs dont j’ai eu la chance de faire partie, ils ont reconnu les envoyés de Dieu, leur ouvrant leurs cœurs et celui de leurs peuples. J’en garde un souvenir précis et ému.
Ils nous ont donné ce qu’ils avaient et nous avons essayé à la suite d’Abraham d’ouvrir nos cœurs à leur bénédiction. À la suite de Baba Simon nous avons, nous aussi, essayé de leur donner le meilleur de ce que nous avions et de ce que nous étions.
Cette rencontre rendue possible par le regard a priori fraternel posé sur l’autre, et “originé”, “enraciné” en Dieu lui-même, nous a ouvert un avenir commun et un chemin de développement intégral…
Le souci permanent de Baba Simon dont nous avons essayé d’hériter et que j’aimerais tant vous transmettre à mon tour, c’était de voir Dieu et les hommes comme Jésus les voit”…
S’il était capable de porter le regard sur les autres, c’est que Baba Simon se laissait lui-même regarder par le Christ…
Cette exposition au regard du Seigneur, ce temps d’être “vu” par le Seigneur, il le prenait devant le Saint Sacrement… Il passait de longues heures, souvent nocturnes, à “s’exposer au Saint Sacrement”.
Comme le disait le Frère Marc Hayet (Supérieur Général des Petits Frères de Jésus lors du synode des évêques sur l’Eucharistie en 2005…
Le temps d’adoration eucharistique n’est, en effet, pas seulement un temps où l’on expose le Saint Sacrement”. C’est un temps de dialogue et d’exposition réciproque : Jésus s’expose à nous et nous nous exposons à Lui…
Depuis plus d’un an, chaque jeudi, nous proposons un temps d’adoration à l’église d’Allonnes entre 18 et 19h00… Je me permets de relancer l’invitation à tous et à chacun : “N’aie pas peur, laisse-toi regarder par le Christ… laisse-toi regarder car il t’aime…” Une heure gratuite pour se re/poser en Dieu… Ça ne se refuse pas !
L’objectif est de laisser le regard du Christ pénétrer le nôtre, pour qu’à notre tour nous puissions refléter ce regard sur ceux qui nous entourent qu’ils soient chrétiens ou non.
C’est la base de l’évangélisation à laquelle notre évêque ne cesse de nous appeler…
L’évangélisation passe en effet, d’abord et avant tout, par le regard que je porte sur mes frères… Si je regarde les personnes qui m’entourent, à priori comme des frères, alors je leur donne accès tout naturellement à la Bonne Nouvelle que Dieu les regarde comme ses enfants bien-aimés et je leur donne la possibilité de prendre toute leur place avec moi dans l’édification du monde selon le projet de Dieu.
Je disais que l’exposition au Saint Sacrement nous conduit à nous exposer à nos frères, comme Jésus s’expose à nous. Or, comme nous le rappelons à chaque messe, c’est sous l’aspect du pain, de la nourriture que Jésus se donne à contempler. Il nous invite par-là à nous faire, nous aussi, nourriture pour nos frères…
Et nous voilà, tout naturellement, revenus à l’Évangile d’aujourd’hui : “Donnez-leur vous-mêmes à manger”… dit Jésus aux Douze qui s’inquiètent de cette foule qui n’a rien pour se sustenter…
Deux interprétations sont possibles de cette consigne du Christ :
- La première et la plus évidente serait : « C’est à vous qu’il revient de leur donner à manger. »
- La deuxième pourrait être : « Soyez vous-mêmes la nourriture de vos frères…»
Être “nourriture de nos frères”… C’est bien le signe que Jésus a inventé pour que nous fassions mémoire de Lui et de l’offrande qu’il fait de sa vie… Pour qu’en chaque eucharistie nous actualisions, nous représentions, (nous rendions réellement présent) le sacrifice de la Croix.
Dans cette manière de donner sa vie en nourriture, c’est le Testament même du Christ que nous retrouvons.
St Paul nous le rappelait dans la deuxième lecture : “C’est mon corps prenez et buvez. C’est mon sang prenez et buvez. Faites ceci en mémoire de moi.” Le “Ceci” que nous devons faire en mémoire de Jésus, c’est de donner notre vie, avec Jésus et en Lui, en nourriture pour nos frères…
Cette vie nous pouvons la donner tout d’un coup comme le Christ ou la longue cohorte des martyrs à travers l’histoire.
Nous pouvons aussi la donner goutte à goutte au quotidien. Ce qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas forcément plus facile !
En donnant notre vie au quotidien, puissions-nous devenir les annonceurs du Monde Nouveau, disciples et missionnaires de Jésus, pain de Vie.
Nous avons entendu tout à l’heure qu’après la multiplication des pains il était resté 12 paniers de pains. Que signifient ces douze paniers ?
Je me demande parfois s’ils ne sont pas tout simplement l’image des disciples-missionnaires que nous devenons quand nous communions au corps du Christ. Chacun d’entre nous est devenu un panier rempli du Christ, prêt à être consommés par ses frères…
L’Eucharistie, dont nous sommes, avec Sandro, les intendants au milieu de vous, est faite pour nourrir notre engagement commun de baptisés au cœur du monde… « Nous formons un même corps nous qui avons part au même pain et Jésus-Christ est la tête de ce corps, l’Église du Seigneur ! »
Puissions-nous grandir ensemble dans l’amour et le service de nos frères…
Oui, Seigneur fait nous entendre ton appel : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! »