Textes :
Frères et sœurs, chers amis, vous connaissez la fable du loup et du chien ? J’y pensais en préparant cette homélie…
Mieux vaut-il être esclaves au bord du fleuve ou libres dans le désert ? Voilà la question qui taraude les hébreux dans leur traversée du désert.
L’histoire de cette traversée du désert est un véritable roman… On y trouve, récurrentes, les louanges des fils d’Israël envers le Dieu libérateur qui fait des exploits en leur faveur. On y trouve, non moins récurrentes, les récriminations et les révoltes ingrates du peuple qui rechigne devant l’effort que représente l’apprentissage de la liberté…
Souvenez-vous le chant d’action de grâce après avoir traversé la mer rouge à pied sec, « Je chanterai pour le Seigneur ! Éclatante est sa gloire : il a jeté dans la mer cheval et cavalier !… » (Ex 15, 1 et ss) Dans les chapitres qui suivent ce chant s’enrichit (si l’on peut dire !) de nouveaux couplets nettement plus amers ! Le texte que nous avons entendu en première lecture en est un : « Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! » (Ex 16, 3) Quelle audace !
Le psaume 77 (78) dont nous avons entendu un bref extrait en est aussi une parfaite illustration… Je vous invite, la prochaine fois que vous prendrez un temps de prière personnelle, à le méditer en entier… C’est très édifiant et plein de leçons pour aujourd’hui.
Dieu ne supporte pas que son peuple soit réduit en esclavage. C’est pourquoi entendant ses récriminations il envoie Moïse pour le conduire de l’esclavage à la liberté, à travers le rude apprentissage du désert…
Nous sommes bien d’accord que ce n’est pas Moïse qui libère le peuple, mais Dieu lui-même.
Moïse fait « l’œuvre de Dieu » mais, quand les choses tournent mal c’est pourtant à lui et à son frère Aaron qu’on s’en prend !
Tant que nous maîtrisons la situation ou, plutôt, tant que nous croyons la maîtriser parce qu’elle va dans notre sens nous avançons sans rien dire et nous sommes prêts à chanter les louanges de Dieu. Dès que cela ne va plus comme on le voudrait, alors ce sont les revendications et les remises en question de ceux qui ont reçu la charge de nous conduire… « Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé !» Ça ne vous rappelle rien ? Le complotisme est une vieille histoire… Et encore heureux à l’époque de Moïse les réseaux sociaux n’existaient pas !
« Garantir sa propre sécurité » voilà le mot d’ordre… Alors que Dieu demande à ses fils de se constituer en peuple c’est le chacun pour soi qui prend le dessus. Au lieu de l’apriori de confiance nécessaire à toute obéissance, c’est la méfiance qui l’emporte… La vieille posture d’Adam, écoutant le tentateur, resurgit à tout moment…
Il en va de même avec la Manne. Dieu montre que c’est Lui qui prend soin de son peuple et que, ce faisant, il l’invite simplement à s’en remettre à Lui dans la Foi. Si vous poursuivez la lecture de ce matin vous verrez que, malgré les consignes de ne pas faire des réserves, il s’en trouve quelques-uns qui veulent « tester »… Le résultat ne se fait pas attendre, la réserve est infestée de vers et elle pue ! (Ex 16,19-20)
Mon Dieu qu’il nous est difficile de nous en remettre à l’autorité dès que nous sentons que notre liberté individuelle risque d’en prendre un coup…
Venons(en à la multiplication des pains dont nous parle l’évangile de saint Jean depuis dimanche dernier… Comme la Manne au désert, elle est un “signe” et comme tout signe elle renvoie à autre chose.
L’erreur des participants au méga pique-nique de Jésus, c’est de ne pas regarder plus loin que le bout de leur nez ou plutôt de ne pas regarder plus loin que la satisfaction de leurs besoins élémentaires…
Ils se conduisent « comme les païens qui se laissent guider par le néant de leurs pensées » pour reprendre l’expression de Saint Paul dans le chapitre 4 de la sa lettre aux Éphésiens que nous avions en deuxième lecture. « Du pain et des jeux… et basta ! » écrivait le poète Juvénal au premier siècle de notre ère.[1]
Saint Paul dans les versets 18 et 19 qui ont été omis dans la lecture, explique la raison d’un tel comportement : « Ils ont l’intelligence remplie de ténèbres, ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux, à cause de l’endurcissement de leur cœur ; ayant perdu le sens moral, ils se sont livrés à la débauche au point de s’adonner sans retenue à toute sorte d’impureté. » Je suis impressionné par l’actualité d’une telle formulation.
Si nous ne voulons pas tomber dans l’erreur, «Laissons-nous renouveler par la transformation spirituelle de notre pensée. Revêtons-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté.»
« Vous m’avez suivi parce que je vous ai donné à manger… », déclare Jésus, mais cela ne suffit pas ! Levez la tête et regardez plus loin que le bout de mon doigt… ! « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd ! » Reconnaissez que le vrai pain c’est moi, Parole de Dieu fait homme pour devenir nourriture de votre engagement de fils et de filles de Dieu. Je suis Dieu qui se fait pain pour que, me consommant, vous deveniez à votre tour Dieu qui se fait pain pour la vie du monde. Voilà « l’opus Dei », l’œuvre de Dieu.
Ne vous arrêtez pas à ce pain que je vous ai donné, ne vous arrêtez pas à la manne, ne vous arrêtez pas à Moïse, ne vous arrêtez pas même à ces signes que je réalise pour vous… Levez la tête et regardez d’où vient le vrai pain venu du Ciel. Regardez et comprenez qui vous envoie ce vrai pain.
« Travailler pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle. » et, si parfois tu as l’impression de traverser le désert et les épreuves, gardes le souvenir de tes anciens : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » (Dt 8, 2-3)
Ne te contente d’entendre et de savoir « ce que nos pères nous ont raconté : et que nous redirons à l’âge qui vient… » Ne te mets plus à l’école de Moïse, mais à celle de Jésus et témoigne par ta vie que « celui qui croit en Lui n’aura plus jamais faim, que celui qui croit en Lui n’aura plus jamais soif.»
[1] « Ce peuple impérieux, qui dispensait naguère Légions et faisceaux dans la paix, dans la guerre, Stupide, enseveli dans un repos fangeux, Il ne demande plus que du pain et des jeux ! » Juvénal Satires X, Traduction Jean Lacroix.