Homélie du 17 mars 2019

Textes :

 

Frères et sœurs, le mercredi des Cendres, j’évoquais avec vous les quatre “P” que l’Église nous propose pour vivre un carême fructueux. Le “P” de la Prière, celui de la Pénitence ou Privation, celui du Partage et celui du Pardon !

Aujourd’hui c’est celui de la Prière qui retient mon attention…

Jésus en effet, emmène ses amis les plus proches sur la montagne pour prier, nous dit Saint Luc.

Jésus, dont le nom signifie “Dieu sauve” se met en prière… Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? On comprendrait que Jésus invite ses apôtres à la prière, mais lui qui est fils éternel de Dieu qu’a-t-il besoin de prier ? Qu’est-ce que la prière de Jésus nous enseigne sur l’art de la prière ?

Si nous regardons Jésus prier, nous constatons que prier ce n’est pas autre chose que de se “poser en Dieu” c’est-à-dire à notre juste place…

Prier c’est reconnaître que ce que nous sommes, nous le sommes “en Dieu” Et que sans lui nous ne pouvons rien faire. Prier c’est faire acte d’humilité ou plutôt c’est renoncer à l’orgueil qui nous fait croire que nous sommes quelque-chose par nous-mêmes…

Jésus sait qu’il est à la veille du grand passage. Il sait qu’il va aller jusqu’à donner sa vie pour ses frères. Il sait aussi que de mourir comme un esclave sur la croix va scandaliser ses frères juifs et le faire passer pour un fou aux yeux des païens (cf. 1 Cor 1, 23)… Alors il appelle ses amis les plus proches et il monte avec eux sur la montagne.

La montagne, dans de nombreuses cultures à travers le monde est le lieu où, depuis la nuit des temps, les hommes cherchent à rencontrer Dieu, au plus près du Ciel. Lieu de l’appel à la transcendance où l’homme apprend et réapprend à se recevoir de plus grand que lui…

« Pendant qu’il priait, nous dit St Luc, voilà que l’aspect du visage de Jésus devint autre, et son vêtement d’une blancheur éclatante »… Jésus priant, apparaît à ses amis dans la gloire éclatante de ce qu’il est : Fils et Parole éternels de Dieu…

La prière de Jésus, totale disponibilité à son Père, révèle ce qu’il est en plénitude.

À l’école de Jésus, notre prière est invitée à s’affranchir peu à peu de toute dimension “commerciale”.

En se calquant sur la disponibilité de Jésus, notre prière nous permettra d’ouvrir nos vies à cette réalité qui vient d’en haut et qui jaillit au cœur de nous-mêmes comme une source…

La prière est faite pour nous rappeler que ce que nous sommes nous le recevons de Dieu…

Le mercredi des Cendres nous avons réentendu le fameux : «Tu es poussière et tu retourneras en poussière.»

Du néant, Dieu, Amour éternel, fait jaillir la Vie… et au cœur du règne vivant qu’il a appelé à l’existence, il choisit et appelle “l’homme et la femme” pour déposer en eux son image. Il leur donne ainsi mission de diffuser son amour en exerçant leur dignité de fils et filles de Dieu…

Pour apprendre à l’humanité ce que veut dire vivre en fils ou filles de Dieu, Dieu envoie Jésus : « Celui est mon Fils,… Écoutez-le !»

Prier, sera donc nous rendre disponibles à la volonté du Père exprimée en Jésus.

Que viennent faire Moïse et Elie sur la montagne ?

N’oublions pas que les apôtres sont juifs. À leurs yeux Moïse représente “la Loi” mais aussi le libérateur, celui qui a conduit le peuple de l’esclavage à la liberté. Elie, c’est le plus grand des prophètes. Il résume en lui tous les prophètes. La Tradition juive dans son intégralité est donc présente symboliquement dans ces deux personnages.

Ils sont là comme pour dire aux témoins de la scène que Jésus est l’accomplissement du Projet de Dieu…

Le projet de Dieu, nous l’avons vu dans la première lecture, c’est de faire alliance avec les hommes aussi nombreux que les étoiles du Ciel.

Arrêtons-nous un peu sur le mystérieux signe des animaux coupés en deux. On en retrouve curieusement certains aspects dans le cérémonial du “chien coupé en deux” en signe de réconciliation chez les Mafa du Nord-Cameroun…

Nous avons affaire à un rituel de conclusion d’Alliance… « Qu’il arrive ce qui est arrivé à cet animal, à celui d’entre nous qui rompra l’alliance conclue ce jour !»

Dans le livre de Jérémie Dieu menace ceux qui ont trahi l’alliance conclue avec lui : « Je livrerai les hommes … qui n’ont pas accompli les paroles de l’alliance conclue devant moi, quand ils avaient coupé en deux un veau, et qu’ils étaient passés entre ses morceaux.» (Jr 34,18)

Remarquons toutefois un détail surprenant… Ici, c’est bien Abraham qui offre et “coupe” les animaux, mais c’est Dieu qui, au cœur des épaisses ténèbres, passe sous la forme d’un brasier fumant et d’une torche enflammée, entre les morceaux d’animaux pendant qu’Abram dort d’un sommeil mystérieux…

Nous retrouvons ici la nuée qui accompagnait le peuple hébreu au désert, mais aussi celle qui couvre de son ombre, Pierre, Jean et Jacques, quand la voix de Dieu se fait entendre…

En passant seul entre les morceaux d’animaux, Dieu ne veut-il pas dire que l’Alliance et la promesse sont un don unilatéral et totalement gratuit de sa part et qu’il prend sur lui, et lui seul, les obligations de l’Alliance.

Soyons rassurés, l’Alliance repose non sur nos propres forces, mais sur la promesse et la fidélité de Dieu. C’est du solide….

Contentons-nous de revenir sans cesse à la source en nous plaçant, en nous posant, en nous re/posant sans cesse entre les mains de Dieu… quitte à nous laisser prendre par le fameux sommeil mystérieux qui envahit Abram ainsi que Pierre, Jean et Jacques sur la montagne de la Transfiguration.

« Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2,12)  dit le Seigneur… Voilà l’objectif de toute vraie prière… « Montre-nous le Père et cela nous suffit ! » (Jn 14,8)

Dans notre montée vers la Passion du Christ, n’y aurait-il pas un rapprochement à faire entre cette scène d’alliance : Abram prit d’un sommeil mystérieux, Dieu qui renonce à sa majesté pour passer lui-même entre les morceaux d’animaux, et ce fameux soir du Jeudi Saint au jardin de Gethsémani où, à quelques pas des disciples endormis, Jésus, visage humain du Père, se prépare à l’ultime sacrifice de l’Alliance ?  « Rachetant pour Dieu au prix de son sang des gens de toute tribu, langue, peuple et nation.»  (cf. Ap 5,9)

Apprenons de Jésus transfiguré à vivre en enfants de lumière accueillons, comme Jésus le fait aujourd’hui sur la montagne, la lumière de Dieu sur notre vie… Toute la lumière de Dieu, sur toute l’étendue de notre existence.

Regardons Jésus prier sur la montagne et apprenons de lui que prier c’est ouvrir nos vies à la lumière de Dieu…

Puissent nos vies habillées de prière, resplendir de la lumière d’en haut qui jaillit en nous depuis le jour de notre baptême, et illuminer notre monde qui en a tant besoin.

« Imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons», nous dit Saint Paul dans la deuxième lecture. Il est gonflé saint Paul !

Quel chrétien, quel prêtre a fortiori, se permettrait-t-il de dire la même chose, aujourd’hui, au moment où notre communauté chrétienne découvre avec horreur la souillure honteuse infligée sur son visage par certains bergers qui se conduisent « en ennemis de la Croix du Christ » ?

Animés de passions “pédophages”, abusant sans vergogne de l’autorité qui leur a été confiée comme un service ; au lieu d’irradier la lumière d’en haut, ils éteignent toute espérance au cœur de leur victimes et de ceux et celles qui, en toute sincérité, croyaient pouvoir leur faire confiance…

Tout au long de ce Carême demandons, dans la prière, la conversion et la purification de nos vies et de nos communautés… « C’est ta face Seigneur que je cherche : ne me cache pas ta face…