Textes :
- Is 53, 2-5 (Liturgie des malades)
- Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8 (du jour)
- 1 Corinthiens 12, 25-27 (Liturgie des malades)
- Mt 25, 1-13 (du jour)
« Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure ! »…
L’avertissement de Jésus est valable pour chacun et chacune d’entre nous…
Il ne concerne pas, comme on le pense facilement, uniquement le moment de la mort ou de la rencontre définitive avec Dieu… Il est posé plutôt comme un rappel que Dieu se révèle bien souvent là et quand on ne l’attend pas…
Quand on a vécu une vie sans trop de soucis de santé, de famille, de sécurité et que peu à peu, et parfois d’un seul coup, la vulnérabilité et la fragilité font irruption dans nos vies, nous sommes désorientés et bien souvent très démunis comme les premières jeunes filles de l’Evangile d’aujourd’hui.
Insouciantes et probablement pleines de joies, elles vivent au jour le jour sans se préoccuper du lendemain…
La prise de conscience parfois brutale de nos limites peut se faire à travers la maladie, la vieillesse qui avance inexorablement, la mort inattendue d’un proche, la violence aveugle du terrorisme qui frappe près de chez nous, la perte d’un emploi ou que sais-je…
Elle peut même se dévoiler à travers une amitié ou un amour trahi alors que nous le pensions inaltérable… Ce peut être aussi l’expérience que nous faisons de notre propre infidélité à nos engagements…
Voilà que d’un seul coup, (quand la bise fut venue… Souvenez-vous la cigale et la fourmi !) nous sommes renvoyés à la fragilité de notre condition humaine… Nous nous pensions invincibles et nous voilà abattus ! Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ? Parfois nous allons même jusqu’à penser : « S’il y avait un bon Dieu il ne permettrait pas ça ! »…
Si Dieu n’est pas bon, à quoi bon !
Si Dieu n’est pas bon, il ne me reste que deux solutions :
1/ Nier son existence pour être tranquille. Mais très vite je vais m’apercevoir que cela ne résout pas tout. Le risque alors est de tomber dans le fatalisme ou de m’étourdir en pensant à autre chose. Le matérialisme dans lequel notre monde est actuellement profondément englué est l’une des conséquences de cette attitude.
2/ L’autre solution, si Dieu n’est pas bon mais qu’il existe, c’est de ramper devant lui pour obtenir ses faveurs ! Et ça, la conscience de ma dignité y répugne de toutes ses forces et elle a raison ! Alors quand en plus elle est taquinée par mon orgueil je me révolte et j’envoie tout balader !
Qu’est-ce que les chrétiens des 20 siècles qui nous séparent de la vie de Jésus ont fait (ou pas fait !) de l’Evangile pour en arriver à ce que beaucoup d’hommes et de femmes de notre temps puissent penser que Dieu n’est pas bon ?… Vous me direz avec raison que c’est facile d’accuser les gens qui nous précèdent ! Que faisons-nous, nous-mêmes, et qu’allons-nous faire pour redresser la barre et annoncer la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu à nos contemporains ?
Les textes de la célébration que nous vivons ce jour, sont là pour nous aider à faire la lumière sur Dieu et sur nous-mêmes, à être « lucides ».
Etre lucide, si l’on en croit le dictionnaire Larousse cela veut dire “voir clairement, objectivement les choses dans leur réalité”.
Dans la première lecture nous avons entendu de la bouche d’Isaïe, comme une contemplation prophétique de Jésus sur la Croix… :
« Il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; […/…] En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. »
C’est clair, Dieu n’est pas là pour nous infliger la souffrance, mais pour “la porter avec nous”…
Le psalmiste d’ailleurs nous le disait bien :
Dieu, je te cherche dès l’aube… Après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. […/…] Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler. Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Dieu est bon, il n’est même que bonté et sa bonté s’exprime en rejoignant notre faiblesse. C’est ce que nous célébrons ce soir avec nos frères malades ou âgés qui ont demandé à recevoir l’onction de la bonté de Dieu dans le sacrement des malades vécu au cœur de la communauté en la fête de Saint Martin…
Dieu est bon d’accord, mais nous pauvres humains alors ?
Eh bien justement Dieu nous a créés à son image en faisant de nous des fils et des filles dans le Fils unique !
Et nous, portion de la famille des enfants de Dieu qui nous prétendons chrétiens ?
Par notre baptême Dieu fait de nous les membres du corps de son Christ, pour qu’à l’image des membres du corps humain nous soyons solidaires les uns des autres. Saint Paul nous l’a bien dit :
« Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. »
Si nous sommes membres du corps du Christ, c’est pour être tournés ensemble vers nos frères humains.
Jésus, nous dit le Pape François sur tous les tons, est le visage humain de la bonté et de la miséricorde de Dieu pour les hommes… C’est par les membres de son corps que Dieu peut rejoindre les souffrances et les peines de nos contemporains.
Ce que nous vivons ce soir au sein de la communauté chrétienne, en nous ouvrant à la bonté de Dieu à travers les membres souffrants de notre corps, c’est ce que Dieu propose à tous les hommes ses enfants.
Pour cela il a envoyé son Fils dans le monde et il continue de le faire à travers nous qui sommes les membres du corps du Christ…
Nous sommes tous des “missionnaires de la charité” chacun là où il est… Appelés à la suite de Saint Martin que nous célébrons aujourd’hui, à reconnaître le visage du « Frère ainé » dans le visage du plus pauvre et du plus démuni.
Veillons effectivement avec les jeunes filles prévoyantes. Depuis longtemps elles ont compris que l’époux était déjà là dans l’huile de leur lampe maintenue allumée.
Avec elles, gardons Dieu “allumé” dans notre cœur pour qu’au jour de la rencontre aussi inattendue qu’elle puisse être nous n’ayons pas de mal à lui ouvrir en grand la porte de notre cœur et à courir à sa rencontre…
Dans l’humilité assumée de notre condition humaine acceptons de ne pas tout maîtriser. Laissons-nous conduire…
Donnons à Dieu la possibilité de faire irruption en nous par les failles et les blessures de nos vies, lui qui « est venu pour que l’Homme ait la vie et qu’il l’ait en abondance ».